La chambre du diable
mains croisées dans
son giron, et battit des cils.
– Oh, Sir John ! roucoula-t-elle.
– Ne jouez pas à « Meg Chaud-le-Pot »
avec moi ! Il n’est herbe qui croît ou potion que l’on peut distiller qui
ne vous soit connue.
Il leva les yeux vers le plafond.
– Je me demande où vous les gardez, hein ?
Le coroner se leva et fit le tour de la pièce. Il s’arrêta
pour examiner le lambris du mur du fond.
– Une vraie garenne ! s’exclama-t-il. N’est-ce
pas, Vulpina ? Quand j’étais jeune, Le Mûrier était connu pour ses
passages secrets et ses cachettes. On pouvait aller et venir en pleine nuit
sans être vu. Je ne pense pas que ça ait changé. Qui vous a rendu visite ces
derniers temps, Vulpina ?
– Si je vous l’avouais, Sir John, vous ne feriez que
rougir. Venez donc vous asseoir. Vous n’avez ni mandat ni licence pour entrer
céans.
– Je pourrais en obtenir.
Il retourna s’installer sur une chaire.
– Voilà qui ferait du joli, n’est-ce pas, Vulpina ?
Moi et une douzaine de solides gaillards de la ville. Je voudrais bien savoir
ce que nous trouverions ici.
Il tira la nef vers lui.
– Je suis sûr qu’elle embellissait une demeure de
Cheapside !
Vulpina la lui arracha des mains.
– Que voulez-vous, Cranston ?
– Que vous me parliez des poisons.
– Désirez-vous en acquérir un ?
– Oui, intervint le dominicain. Je veux que vous
m’en vendiez un.
Il s’interrompit.
– Un que je puisse prendre mais qui ne me fera
point de mal. Et qui, pourtant, si je le versais dans la bière de Sir John, l’enverrait ad patres en moins d’une heure.
– Impossible ! ricana-t-elle.
– En êtes-vous certaine ?
– Mon père, sous le soleil il ne pousse rien de
nature toxique qui ne soit mauvais pour celui qui l’absorbe.
Elle haussa les épaules.
– Assurément, certains produits sont plus dangereux
pour les uns que pour les autres : comme le vin ou la bière enivre un
homme plus vite qu’un autre.
– Vous ne connaissez donc pas un tel poison ?
– Non, mais cela m’intéresserait fort. Pourquoi
cette question ?
– Hawkmere, dit le magistrat.
Il fit mouche : Vulpina tenta de ne pas broncher
mais un éclair dans l’œil et un clappement de langue la trahirent.
– J’ai déjà ouï ce nom. C’est un endroit vieux et
sinistre.
– Des Français y sont captifs, expliqua le
coroner. L’un d’entre eux a été empoisonné.
– Ah ! commenta-t-elle en claquant de la
langue à grand bruit. Et vous pensez que la vieille Vulpina est coupable ?
Sir John, je vous dis la vérité : je vends potions et philtres aux dames
énamourées et aux hommes qui veulent se débarrasser d’un rival. Je ne leur
demande ni qui ils sont ni d’où ils viennent. Je suis une apothicaire.
– Vous êtes une meurtrière ! Une tueuse aux
mains rouges de sang !
Il se leva et se pencha par-dessus la table.
– Je reviendrai un jour, quand j’aurai le temps
et les mandats nécessaires.
Le magistrat se dirigea vers la porte.
– Quittons ce charmant endroit !
Il attendit que son secrétaire l’eût rejoint.
– Et je ne veux pas être suivi. Ni tumulte ni
querelle dans les rues. Vous ne nous avez point aidés, Vulpina, et je m’en souviendrai !
– Sir John !
Il fit demi-tour.
– Vous êtes ici par ordre de Jean de Gand, n’est-ce
pas ? Vous êtes son porte-parole.
– Je ne suis le porte-parole de personne !
Vulpina eut un rire méprisant, tête renversée. Elle examina
le coroner de sous ses yeux mi-clos. Athelstan réprima un frisson. Il n’aimait
pas cette taverne : plus il y demeurait, plus il avait l’impression d’être
en présence du mal absolu, d’une femme baignant dans la malice. Il avait l’habitude
des malandrins et des coquins de Southwark, de gens comme Pig’s Arse ou
Godbless qui volaient et dérobaient parce qu’ils y étaient obligés. Mais
Vulpina, elle, se délectait de la méchanceté qu’elle distillait, se réjouissait
du chaos et du chagrin qui s’ensuivaient.
– J’attends, Meg Chaud-le-Pot !
– Vous êtes un serviteur de Gand, souligna-t-elle
en clappant derechef de la langue et en levant la main.
Le dominicain remarqua qu’elle portait un gant de cuir
très ajusté à la main droite.
– Je peux vous fournir une liste de mes clients, Cranston !
siffla-t-elle. Elle comprendra les soi-disant riches et puissants qui ont peu
de temps à consacrer à vos enquêtes
Weitere Kostenlose Bücher