La chambre du diable
suivi d’un Thaddée guilleret, franchit la porte
comme une flèche et alla s’asseoir devant la cheminée.
– J’ai toujours aimé les feux, soupira-t-il. Ma
femme en allumait souvent.
Curieux, Athelstan ferma l’huis à clé et tira les
verrous. Il nota avec amusement que Thaddée s’était couché près de Godbless.
– Tu étais marié ?
– Oui, mon père. Je viens du Dorset. J’étais un
franc-tenancier comme ces autres bougres de fols qui ont accepté l’argent du
roi et sont partis à la guerre. Quand je suis revenu, mon épouse et mon enfant
étaient morts de la peste. Le seigneur du manoir avait abattu les haies, transformé
les champs en prairies et y faisait paître des moutons. Je hais les moutons. J’aime
les chèvres mais ne puis supporter les moutons.
– Dans les Evangiles, c’est le contraire, plaisanta
Athelstan.
– Ne vous fâchez pas, mais je ne crois pas aux
Évangiles. Je ne suis point un bon chrétien.
– Dans ce cas, commenta le religieux, tu es en
bonne compagnie. Très peu de gens le sont, Godbless.
Le mendiant lui lança un regard en coin.
– Un jour, je vous revaudrai toute votre bonté !
Athelstan lui tapota l’épaule.
– Je vais t’apporter des couvertures.
Il installa Godbless confortablement, lui signala qu’il
y avait de quoi se restaurer dans la resserre et monta l’escalier qui
conduisait à sa chambre. Il se lava mains et figure dans la cuvette, quitta sa
bure et se glissa dans son lit étroit. Il pria quelques instants. Il entendait
le mendiant ronfler, en bas.
– Étrange, se dit-il.
Godbless était un solitaire qui errait sans doute sur
les routes d’Angleterre et avait l’habitude de dormir dans les endroits les
plus désolés, pourtant, ce soir, il s’était affolé. Qu’avait-il vu dans le
cimetière qui l’avait réveillé et terrifié ? Athelstan s’abandonna au
sommeil.
Vulpina, assise dans sa chambre, contempla l’étranger
encapuchonné et masqué.
– Êtes-vous français ? s’enquit-elle. Êtes-vous
prêtre ?
– Ne posez pas de questions, madame.
Vulpina était rassurée ; la voix était basse et
cultivée. Elle remarqua la main de son interlocuteur qui avait ôté l’un de ses
gants : douce et blanche, ce n’était pas celle d’un homme qui creusait et
bêchait la terre pour survivre.
– Vous voulez encore du poison ?
– Et je ne saurais naqueter davantage.
Vulpina acquiesça et se leva. Elle se dirigea vers le lambris
et appuya sur un point secret qui révéla une niche. Elle en sortit un grand
panier d’osier et un registre relié de cuir qu’elle rapporta. L’étranger ouvrit
son escarcelle. Les yeux de la femme brillèrent en voyant les pièces d’argent s’entasser
en une pile scintillante. Elle lorgna les deux costauds qui se tenaient de
chaque côté de l’huis.
– Nuit profitable ! s’exclama-t-elle en
claquant des mains.
– Oui, et il y en aura d’autres, répondit l’inconnu.
Je serai une pratique fidèle.
– Alors célébrons cette alliance.
Vulpina claqua des mains derechef et adressa un signe
de tête à l’un de ses gardes. Il alla chercher deux gobelets pleins à ras bord
de vin. Vulpina porta un toast.
– À l’or, à l’argent et à tout ce qu’ils
permettent !
L’homme prit aussi son gobelet mais n’y goûta pas. Il
se mit debout. Vulpina, inquiète, leva les yeux, mais il se déplaçait très vite.
La dague qu’il lança après l’avoir tirée de sous sa chape frappa le garde dans
le dos alors qu’il retournait à sa place. L’autre homme de main fut si surpris
qu’à peine eut-il le temps d’effleurer le pommeau de son poignard : l’étranger
s’était saisi avec prestesse de la petite arbalète suspendue à son ceinturon. Un
claquement et le carreau tournoyant l’atteignit en pleine tête. L’empoisonneuse
bondit. Elle tenta de passer près du meurtrier mais il l’attrapa par l’épaule
et, quand elle se retourna pour lui porter des coups de poing au visage, il en
profita pour assurer plus étroitement le garrot autour de son cou. Elle se
débattit et lutta comme un chat mais le lien était comme un fil d’acier qui lui
serrait la gorge. Vulpina s’effondra. L’assassin, penché sur elle, maintint le
garrot jusqu’à ce que les soubresauts de la mort cessent. Il rassembla les
gobelets de vin et en versa le contenu sur le cadavre. Le garde qui avait reçu
la dague dans le dos gémissait. L’inconnu se hâta donc de trancher
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