La chambre du diable
la gorge du
malheureux. Il prit ensuite le recueil des poisons, s’assit et le feuilleta
avec soin. Quand il fut satisfait, il s’empara du panier de toxiques et du
registre et les jeta dans la cheminée. Il alla ensuite vers les fontes de selle
qu’il avait déposées près de l’huis, en sortit la gourde qu’il avait emplie d’huile
et aspergea les tapis. Les flammes léchaient déjà le panier ; les pots
explosèrent ; une odeur âcre envahit la pièce. Le tueur saisit un brandon.
Il ouvrit les volets et examina les alentours. Puis il jeta le tison dans une
flaque d’huile et se glissa dehors. Au moment même où il descendait, le feu
atteignit l’huile. Vulpina, ses gardes, ses potions, ses poisons et tout le
contenu de sa chambre secrète furent enveloppés dans un rideau de flammes
rugissantes.
Comme s’il s’agissait d’une ombre immonde qui pouvait
parcourir rues et venelles de la ville plus vite que le vent, le meurtre
attaquait aussi dans un autre quartier. La taverne de La Lampe d’or, sise
en face de l’hôpital St Anthony, était une auberge vaste et joyeuse qui
possédait une grande salle commune et des chambres luxueuses pour les riches
marchands ou voyageurs qui visitaient la cité. Deux clients, pourtant, intriguaient
Margaret, la chambrière.
D’abord, un jeune chevalier, Sir Maurice Maltravers, avait
prévenu que quelqu’un viendrait le voir céans. Margaret s’en souvenait car il
avait belle allure, bien qu’il eût l’air triste et solitaire. Il s’était
installé une heure durant dans un coin, en serrant un pichet de bière et en
regardant avec distraction un jongleur qui, en échange d’un repas chaud et d’un
gobelet de vin, était chargé de distraire la clientèle, puis il s’en était allé.
Ensuite, la jeune femme qui, arrivée en fin d’après-midi, avait loué une
chambre au-dessus de l’escalier et s’était à peine montrée. Tobias, le valet, avait
essayé d’ouvrir le loquet mais la porte était close et ses coups étaient restés
sans réponse. Margaret alla rejoindre son père, le propriétaire, qui se tenait
près des futailles.
– Que veux-tu, mon enfant ?
– La dame… voilà maintenant des heures, père…
L’homme essuya ses doigts graisseux sur son tablier. On
était samedi, tard dans la soirée, et la grand-salle commençait à se remplir de
godelureaux avec leurs catins et de voyageurs qui resteraient jusqu’au lundi.
– Nous aurons bientôt fort à faire, soupira le
tavernier. Bon, très bien, viens !
Et la suivant à l’étage, il tambourina à l’huis.
– Quel nom a-t-elle donné ? interrogea-t-il.
– Maîtresse Triveter.
– Maîtresse Triveter ! cria-t-il, en se
sentant un peu ridicule. Maîtresse Triveter, tout va bien ?
Pas de réponse. Il frappa derechef.
– Maîtresse Triveter, je vous en prie, il me faut
ouvrir cette porte !
Il fit tinter les clés accrochées à un cordon à sa
taille. Il farfouilla à la recherche du passe-partout mais poussa un grognement
quand il l’eut enfoncé dans la serrure : la clé de la pièce était à l’intérieur.
– Père, supplia Margaret, je crois qu’il y a
quelque chose de grave.
– Nous ne pouvons forcer l’huis !
Ils se rendirent dans la cour pavée. Tobias, le valet,
apporta une échelle et, à la demande de son maître, la gravit avec prudence.
– Allez, insista le propriétaire, ouvre la
fenêtre !
Tobias tira les volets ; la croisée était
entrouverte et il pénétra dans la pièce sombre. À première vue, il n’en crut
pas ses yeux : on aurait dit que le lit avait servi ; les couvertures,
tout au moins, avaient été dérangées. Ensuite, narra-t-il à voix basse aux
clients, il pensa d’abord que maîtresse Triveter se tenait debout sur un
tabouret. Puis il poussa un cri étouffé : on avait envoyé le siège rouler
d’un coup de pied et la jeune femme, le visage cache sous la masse de ses
cheveux roux et brillants, se balançait au bout d’une corde attachée à l’une
des poutres.
Athelstan ôta ses vêtements sacerdotaux, les posa sur
la table de la petite sacristie et s’inclina devant le crucifix. Il alla s’agenouiller
sur le prie-Dieu et récita une courte action de grâces.
– Père Athelstan !
Il se retourna. Crim, l’enfant de chœur, dansait d’un
pied sur l’autre.
– Sors si tu veux uriner, mon enfant. Je t’ai dit
de ne pas te désaltérer aux tonneaux d’eau avant la messe. C’est froid et ça
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