La chambre du diable
monde ? Une femme gisant ici, morte !
La lettre ! Les ragots vont se répandre comme vin d’un cuveau fissuré. Sir
Thomas Parr en aura vent.
Le magistrat lui lança un regard attristé.
– Et pis encore, Lady Angelica aussi !
– Sir John a tout à fait raison, renchérit
Athelstan. Même si nous modifions le verdict, on nous accusera de couvrir un
crime commis par un homme de Gand. Ne voyez-vous pas, Sir Maurice, que l’assassin
se doutait que nous découvririons la vérité ? Mais le mal est fait. Jetez
assez de boue, il y aura toujours des éclaboussures !
Sir Maurice, le visage blanc de rage, effleura son
poignard.
– Je tuerai quiconque osera m’accuser ! J’en
demanderai raison !
– Oh, pour l’amour de Dieu ! s’écria Sir
John. Que voulez-vous faire, Sir Maurice, vous battre avec tous les hommes de
Londres ?
– Sir Thomas Parr sait ce qu’il en est, rétorqua
le chevalier avec hargne. C’est lui qui a manigancé tout ça.
– Sir Maurice ! Sir Maurice ! intervint
Athelstan en lui prenant la main. Je pourrais prouver devant un tribunal que
cette jeune femme a été tuée et ne s’est pas suicidée mais nous ignorons
toujours qui elle est et d’où elle vient.
Il s’interrompit.
– Nous manquons de preuves pour accuser Parr ou
quelqu’un d’autre de sa mort. C’est encore vous que l’on soupçonne. Ce qui
entache votre réputation et ternit votre honneur.
– Ça crée un doute, dit Sir John. Et c’était le
but de ce terrible crime. Sir Maurice Maltravers est-il celui qu’il prétend
être ? Il faudrait des mois pour passer au peigne fin les registres de
Douvres et plus longtemps encore pour découvrir d’où venait vraiment cette
jouvencelle. Et, en fin de compte, les racontars courront dans toute la ville :
Sir Maurice a séduit une jeune femme, a forniqué avec elle après un mariage
célébré par un prêtre vagant, puis l’a repoussée et elle s’est suicidée.
Le chevalier était à présent pâle comme un linge et
des gouttes de sueur ruisselaient sur ses joues.
– Je suis un soldat, marmonna-t-il. Je vois mon
ennemi et le rencontre dans les règles de l’art sur le champ de bataille :
écu contre écu, épée contre épée. Je ne peux affronter ceci.
– Mais si, vous le pouvez, le rassura Athelstan
en le faisant asseoir sur une sellette.
Puis, le dominant de toute sa hauteur, il posa la main
sur l’épaule du jeune homme.
– Nous avons d’autres questions à poser.
Il s’interrompit.
Un bruit de pas résonna dans l’escalier et dans la
galerie. Puis on frappa à la porte.
Athelstan avait déjà rencontré le Ramasseur de morts
mais il tressaillit néanmoins quand l’homme pénétra dans la pièce. Un haut
capuchon noir lui recouvrait la tête et il avait dissimulé ses traits sous un
masque de mort. Il s’avança en faisant craquer ses guêtres de cuir noir. Il
tenait, d’une main, un drap de toile plié avec soin et, de l’autre, un bout de
corde.
– Nous nous retrouvons donc, messire le coroner, dit-il
d’une voix douce, basse et bien modulée.
– C’est vrai, maître, la mort est toujours à l’ouvrage.
Et ses victimes sont éparpillées par toute la ville.
Le nouveau venu s’approcha du lit. Il manipula le
corps d’une manière toute professionnelle, l’enveloppa avec délicatesse dans le
drap et l’attacha à l’aide de la corde. Le tavernier, le teint livide, restait
sur le seuil.
– Faudra-t-il longtemps ? se lamenta-t-il. Il
y a des clients et mes affaires vont en souffrir !
– Que nenni, rétorqua le Ramasseur de morts d’une
voix étouffée. On accourra chez vous pour s’enquérir des nouvelles. Vous
vendrez plus de bière que lors d’une fête ou d’un Mai.
Il vérifia que le cadavre était bien enveloppé et le
souleva avec douceur, comme une mère son enfant.
– Il faudrait l’enterrer sous peu, messire le
coroner.
– Aujourd’hui même. L’aubergiste vous réglera. Je
veux une tombe d’indigent à St Mary, mais pas la fosse commune : qu’elle
repose seule, avec une croix gravée à son nom. Le tavernier vous la procurera. Que
Dieu la garde !
Sir John se détourna avec un geste de la main.
Le Ramasseur de morts s’en fut. L’aubergiste se signa
et ferma l’huis derrière lui. Athelstan attendit que le bruit des pas ait décru.
Sir Maurice était assis sur le tabouret, bras et
jambes croisés, tendu et aux aguets. Le dominicain éprouva un élan
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