La chambre du diable
n’y
avait nul danger. Les deux autres se placèrent entre leur maître et la foule
des curieux.
– Gervase est Maître de la Maison des Secrets du
roi, commenta le coroner.
Athelstan acquiesça. Il avait entendu parler de cet
office, occupé par des clercs de la chancellerie dans un bâtiment à côté de
Fleet Street. Ces clercs dirigeaient espions et agents de la Cour anglaise, tant
à l’intérieur qu’à l’étranger. Ils écoutaient les marins et les marchands puis
raboutaient fragments et bribes d’informations intéressantes.
– Vous devez m’accompagner tous les deux. Monseigneur
le régent vous attend à la Maison des Secrets.
– Pas de trêve pour les méchants, grommela le
coroner.
– Non, en effet, Sir John. Monseigneur le régent
vous narrera tout. Sir Maurice, venez aussi !
Un sourire fendit son visage de chérubin.
– J’ai eu vent du meurtre à La Lampe d’or, chuchota-t-il. Sir Maurice y
trempe-t-il ?
– Un margouillis de mensonges, répondit Athelstan.
Ce petit homme comme ce qu’attendait le régent de lui
et de son compagnon, un dimanche matin, l’intriguaient.
Gervase, entouré par ses gardes du corps, se mit en
marche d’un bon pas, presque au trot.
– De quoi s’agit-il, Sir John ? s’inquiéta
le dominicain en tirant le coroner par la manche.
– Je l’ignore. Mais il s’est passé quelque chose.
Gervase aime ses roses et ne manque que fort peu souvent l’occasion de chanter
dans le chœur un dimanche matin. Ce doit donc être sérieux, très sérieux. Monseigneur
le régent devrait être en train de chasser le cerf avec ses chiens.
Ils quittèrent Whitefriars pour gagner les alentours
plus salubres de Fleet Street. Les rues s’inclinaient vers les rigoles creusées
en leur mitan. Le dominicain remercia Dieu en silence qu’il n’ait pas plu car
la pente était incertaine et les caniveaux débordaient d’ordures. Il ne
quittait pas de l’œil les enseignes appendues au-dessus des échoppes. Le Cupidon et la Torche du vitrier, Le Berceau du
vannier, les Adam et Ève nus des marchands de pommes, le Jack dans le
Mai des brasseurs menaçaient d’assommer les passants distraits. Au coin de
Bride Lane, les ramasseurs de crottes de chiens, munis de petites pelles, emplissaient
leurs paniers dont ils vendraient le contenu aux tanneurs et aux peaussiers.
– Pour certains, observa le coroner, il n’y a ni
dimanche ni jour de repos.
Il arrêta un porteur d’eau et acheta une louchée de
son seau. Mais il repoussa la boisson en crachant à grand bruit.
– Ton eau est saumâtre ! hurla-t-il au nez
du bonhomme malingre et émacié. Vide-la dans la rigole et va en quérir de la
fraîche ou je te fais fouetter au cul de la charrette !
Le vendeur détala, la seille tressautant sur l’épaule,
l’eau débordant.
– Dans mon traité sur le bon gouvernement de la
ville…
– Venez, Sir John ! l’interrompit Gervase
Talbot, qui l’attendait à l’angle d’une nielle.
– Oui, j’arrive ! cria le magistrat en le rejoignant
en hâte.
La Maison des Secrets se dressait dans Rolls Passage, qui
partait de Chancery Lane. C’était un édifice tout en hauteur, à la base de
brique rouge, garni de poutres noires et de plâtre dans les étages supérieurs. Les
fenêtres vitrées étaient défendues par des barreaux de fer. La porte était
étroite et renforcée de gros clous de fer. Gervase sonna la cloche. L’huis s’ouvrit
et un clerc les fit entrer. Le couloir était pavé et impeccable, les murs
plaqués de lambris cirés au-dessus desquels pendaient des draperies de couleur
et des toiles peintes. L’air fleurait bon le parchemin, la chandelle, la cire à
cacheter et l’encre. Au rez-de-chaussée se trouvaient de petites pièces, closes
pour la plupart. Mais l’une d’entre elles était ouverte et Athelstan aperçut
les hautes sellettes et les pupitres des clercs recouverts de serge verte.
Jean de Gand attendait dans une chambre au fond de la
demeure. Assis sur un tabouret, il furetait parmi des manuscrits jetés sur le
sol. Il leur sourit quand ils entrèrent.
– Toutes mes excuses, messire le coroner, ainsi
qu’à vous, frère Athelstan. Mais, comme vous pouvez le voir, ajouta-t-il en
montrant sa tunique de chasse, ses guêtres et ses bottes dont les éperons
cliquetaient à chaque mouvement, moi aussi je m’apprêtais à autre chose ! Gervase,
ici présent, prétend qu’il doit me communiquer une affaire.
Il jeta un
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