La chambre maudite
soit que le fruit d’un habile larcin, et en même temps il se disait qu’il aurait fallu des siècles à la jouvencelle pour réunir pareil trésor.
– Raconte-moi, finit-il par laisser tomber en cueillant dans une cruche une poignée de pièces qu’il égrena entre ses doigts.
– Quelle importance ?
– Tout ce qui me permet de te comprendre pour mieux t’aimer a une importance.
– C’est une longue histoire, Philippus !
Pour soulager ses blessures, il alla s’asseoir sur un tas de pièces d’or qui s’affaissa sous son poids, envoyant rouler quelques-unes d’entre elles contre les jarres où elles s’immobilisèrent en tintant.
Loraline s’appuya contre la paroi ruisselante d’humidité. Elle connaissait bien l’endroit, et elle avait eu soin avant de descendre de jeter sur leurs épaules une pelisse fournie.
– De nombreuses fois, enfant, j’ai pu voir ma mère emprunter ce boyau, mais il m’était interdit de l’accompagner. Lorsqu’elle revenait, elle tenait une barrette d’un métal jaune et froid qu’elle remettait à tante Albérie. Avec le temps, parce que innocemment mes oreilles tramaient partout, j’ai fini par comprendre que l’abbé du Moutier, Antoine de Colonges, donnait à ma tante des pièces en échange de ces barrettes afin qu’elle puisse approvisionner ma mère et ma grand-mère lorsque l’hiver était rude. Il ne venait jamais jusqu’ici. Je sais qu’un souterrain mène à l’abbaye, mais je n’ai pas réussi à le trouver. Tu serais effaré du labyrinthe qui se cache dans ces montagnes.
– Pourquoi ta mère donnait-elle de l’or pour avoir des pièces alors que cette salle… ?
Il n’acheva pas sa phrase. L’évidence l’avait rattrapé. Loraline s’en empara :
– Celles-ci sont trop anciennes. Les utiliser aurait risqué de donner une réalité à la légende. Des centaines de gens seraient venus fouiller la terre. Je l’ai compris plus tard. Peu de temps avant de mourir, mère m’a conduite ici et m’a tout raconté : « En 1369, Charles V déchira le traité de Brétigny qui laissait à Edouard III, roi d’Angleterre, tout le Sud-ouest et une partie du nord de la France. La guerre de Cent Ans faisait rage, et le roi de France reprenait une à une les villes françaises attribuées à l’ennemi. C’est alors que le seigneur de Thiers a croisé sur son chemin un groupe de fuyards anglais, ravis de pouvoir le découdre. En échange de sa vie, il leur offrit l’asile imprenable de Montguerlhe pour leurs familles et leurs biens. Ils s’installèrent donc dans la forteresse, mais n’avaient aucune confiance en ce seigneur qui pouvait fort bien à tout instant les livrer aux Français. Ils érigèrent des morceaux de murs à l’intérieur même du château, dissimulant ainsi de nombreux passages. Durant des années ils disciplinèrent les anciennes carrières de pierres, élaborant un judicieux dédale de souterrains. Nombre de leurs compatriotes vinrent y cacher leurs biens, ou du moins ce qu’ils avaient pu sauver dans leur fuite. Plusieurs coustelleurs grassement payés travaillèrent pour eux en secret dans la salle souterraine. Ils avaient ici tout ce qu’ils souhaitaient, et les armes qu’ils fabriquaient servaient à la lutte sans merci entre l’Angleterre et la France.
« Et puis ce qui devait arriver arriva. Le seigneur de Thiers avait bien vu que des coustelleurs renommés s’étaient enrichis. Il essaya d’en faire parler un, mais la torture le tua avant qu’il révèle son secret. Les autres, prenant peur, se mirent sous la protection des Anglais avec leurs familles. Le seigneur de Thiers, Hermand de Montreval, s’en offusqua et réclama de l’or en échange de son silence. Il n’en obtint pas assez à son goût. Il trouva un complice et s’assura qu’un poison serait servi à ses hôtes, devenus d’autant plus indésirables qu’il était lui-même un traître à la couronne de France pour les avoir cachés. Lorsqu’il n’y eut plus que des cadavres à Montguerlhe, il chercha l’or, mit le château sens dessus dessous, en vain. Il finit par croire que tout l’or avait été employé à la fabrique des épées, mais aucun coustelleur n’était plus en vie pour conforter sa théorie. Il fit enterrer les corps en secret, et détruisit tout document qui eût pu le compromettre.
– Si nul ne sait, alors comment les tiens ?… commença Philippus.
– Une femme, une lavandière,
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