La chambre maudite
demanda-t-il comme Loraline se redressait après avoir, pour se rincer le visage, recueilli un peu d’eau fraîche et propre.
– Non, affirma-t-elle en souriant. Je me sens juste un peu fatiguée, ballonnée pour tout dire. Ne t’inquiète pas, bel amour.
Mais Philippus venait d’accrocher la rondeur naissante de ce ventre tant de fois offert et sublimé. Tout alla très vite dans sa tête. Trois mois, trois mois qu’il lui faisait l’amour dans une totale insouciance. Fol de lui !
Il lui prit les mains doucement, la gorge sèche.
– Il faut que je t’examine. Maintenant, ordonna-t-il.
– Seras-tu rassuré ensuite ? demanda-t-elle sans malice.
– Oui, je le serai si tu m’as tout dit !
– Qu’aurais-je à te cacher, Philippus ? lança-t-elle dans un éclat de rire.
Elle reprenait des couleurs et ses yeux pétillaient de nouveau. Philippus comprit alors qu’elle ignorait tout des lois immuables de l’enfantement. Elle se laissa ramener à la grotte et étendre sur la paillasse. Lorsqu’il lui écarta les cuisses, elle gloussa de plaisir, mais il se contenta d’un toucher médical, rapide.
– Déjà ? C’était bien agréable, pourtant, gémit-elle.
Mais Philippus n’était plus d’humeur badine. Il s’assit à ses côtés, partagé entre le bonheur et une peur panique :
– Tu es enceinte, Loraline.
Elle ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Son sourire semblait figé par la surprise. Un long silence suivit, puis Loraline cligna des yeux comme si ce rêve qui l’avait happée soudain lui rendait sa réalité.
– Tu veux dire qu’il y a un petit Philippus, là, dans mon ventre ? murmura-t-elle.
Il hocha la tête. Alors elle se suspendit à son cou et éclata en sanglots.
– Oh ! Philippus, je suis heureuse, si heureuse !
Et il se rendit compte en refermant ses bras autour d’elle que lui aussi était heureux.
– Je ne peux pas repartir sans toi, désormais.
Il avait attendu quelques jours avant de lui annoncer sa décision, le temps qu’elle s’habitue à l’idée de cet enfant. Elle était transformée, riait d’un rien, tendant son ventre en avant, faisait le tour des loups pour y poser leur patte en leur affirmant que bientôt ils auraient un enfanteau à chérir. Elle était touchante, désarmante, mais Philippus ne se laisserait pas fléchir.
La donne avait changé. Il tuerait la louve grise de ses mains s’il le fallait. Il était prêt à tout. Il avait passé plusieurs nuits blanches à se demander ce qu’il aurait fait finalement au terme de ces cinq mois, à présent il savait. Il n’aurait pas abandonné Loraline. Ce qu’il éprouvait pour elle était bien au-delà de l’amour. Elle était la somme de tous ces instants à chercher l’impossible, le surnaturel, l’impalpable. Comme si son existence avait tendu un fil invisible constitué d’indices qui n’avaient eu qu’un seul but, l’amener à elle.
Loraline avait feint ne pas entendre. Elle continuait de jouer avec Cythar. Il répéta un peu plus fort, décidé à hausser le ton encore et encore jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus faire la sourde oreille.
– Je ne peux pas repartir sans toi désormais.
Mais il n’eut pas besoin d’une nouvelle fois. Elle lança le bâton qu’elle tenait en main et envoya Cythar le chercher. Puis, assise à même la terre battue, à ses pieds, comme n’importe lequel de ses loups, elle leva vers Phi-lippus ses grands yeux verts, assombris par cette évidence qui la rattrapait soudain elle aussi.
– Nous en avons déjà parlé. Je n’en ai pas le droit.
Sa voix se voulait ferme, mais Philippus savait qu’il n’en était rien.
– C’était avant. Avant que tu portes notre enfant.
Il avait parlé d’une voix douce. Il ne voulait pas la brusquer. Il aurait voulu la rejoindre par terre, mais il ne le pouvait pas. Il n’était pas encore totalement maître de ses mouvements et sa souplesse lui faisait cruellement défaut. Il devait se contenter de cette position inconfortable sur ce tabouret, contre la table grossière. Elle lui donnait un air supérieur qui le mettait mal à l’aise. Mais Loraline se moquait des convenances, elle n’en connaissait aucune.
– Je suis toujours une femme-loup. Et ce petit être se nourrit de cela, Philippus.
Elle écarta les bras, englobant d’un geste la grotte et ses habitants.
– Ils sont ma famille, et c’est ma maison. Stelphar a raison. C’est ici
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