La chambre maudite
basculé, parce que brusquement le monstre des terres du haut était devenu mon père, quand je n’avais plus de mère. »
Philippus l’avait serrée dans ses bras. Une fois encore ils avaient fait l’amour, éperdument, malgré son ventre rond.
A l’extérieur, avril avait ouvert les premiers bourgeons et l’air était embaumé des parfums des fleurs sauvages réveillées par une tiédeur printanière. L’hiver semblait oublié, la vie reprenait dans les champs, dans les bois. Une nuit de pleine lune, Stelphar s’avança dans la grotte. Philippus voulut se rebeller, mais le regard de Loraline l’en empêcha. Il répugnait à la laisser dans cet état.
– Tante Albérie veillera sur moi. Reviens en juin, nous mettrons l’enfant au monde, ensemble. Va !
Ils échangèrent un long baiser, mais elle ne l’accompagna pas dans le souterrain. La louve grise ouvrait la marche, Cythar la fermait. Entre eux Philippus sentait à chaque pas un peu de sa vie s’éloigner.
Ils jaillirent à l’air libre, derrière l’autel d’une petite église. Ils en sortirent ensemble. Philippus mémorisa son nom inscrit au fronton de pierre : Saint-Jehan-du-Passet. Elle se dressait sur une butte. Dans la clarté de la pleine lune, il avisa un mulet qui l’attendait, attaché à un arbre. Des sacoches pendaient de chaque côté. Dans l’une, il trouva de la nourriture, dans l’autre, de l’or. Alors il se tourna vers la louve et la fixa, droit dans les yeux :
– Je ne crois pas aux garous, Stelphar, et cependant je sais qui tu es. Seule la mort m’empêchera de revenir chercher ma femme et mon enfant.
Il détacha la sacoche et la jeta aux pieds de la louve impassible :
– Ce soir, je suis le plus pauvre des pèlerins par ta faute, et tout l’or du monde n’y pourra rien changer. Nous nous reverrons très bientôt.
Il enfourcha la mule et la talonna sans se retourner. Il entendit seulement le hurlement de Cythar l’accompagner. Comme lui, le loup pleurait.
Philippus brûla les étapes. Sa jambe était douloureuse le soir au coucher. N’ayant pas gardé l’or, il évita les auberges, s’arrêtant dans les hospices où il se fit passer pour un pèlerin de retour de Compostelle. Sa barbe et ses cheveux avaient poussé et le faisaient ressembler à un ermite un peu fou auquel la charité chrétienne ne pouvait rien refuser.
Il avait hâte de rentrer auprès des siens en Suisse. Il ignorait si son père avait été prévenu de sa disparition, il se souciait soudain de son inquiétude, de sa santé, il se souciait de lui pour éviter de se soucier d’elle. Il se disait qu’il allait mettre à jour ses affaires pour s’installer, pour lui arranger un nid dans lequel l’enfant grandirait avec félicité. Cette certitude chassait sa mélancolie, par moments même le rendait heureux ; même si au réveil, chaque matin, ses doigts désespérément accrochaient le vide, le corps empli encore des brumes sensuelles d’étreintes passées.
Isabeau tremblait. De la tête aux pieds. Par intermittence. Ce n’était qu’une succession de frissons. Incontrôlables, agaçants.
Elle s’était préparée pourtant. Avait compté chaque jour depuis le départ de Jacques, se précipitant sur ses courriers.
Messire de La Palice lui parlait beaucoup de la Cour et du roi dont il était proche, il lui racontait son périple, les retrouvailles de François avec son épouse et sa mère, la ville de Marseille où ils avaient séjourné quelque temps, où ils avaient été accueillis par une grande bataille d’oranges à laquelle François et sa Cour avaient participé avec enthousiasme. Puis ils avaient visité la flotte de galères avant de s’étonner devant un étrange animal unicorne dont le dos était recouvert d’une épaisse carapace à la manière des tortues, et que l’on appelait « reynoceron », la bête transitant par Marseille avant de rejoindre Rome, en présent de Manuel de Portugal pour le pape Léon X…
Isabeau buvait ses lettres. Elle faisait commentaire de ces passages à ses amies, se réservant en rougissant ceux où Jacques la couvrait de louanges, assurant qu’il se languissait d’elle plus que d’aucune autre auparavant. Elle avait vu son attachement pour lui grandir au fil des jours, tout en s’activant de son mieux à sa tâche où elle donnait pleine satisfaction à Rudégonde, et en s’inquiétant de ses amis dont l’affection lui faisait un havre de douceur et
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