La chambre maudite
de sérénité.
Dans cette atmosphère, elle avait achevé de se sentir légère, et s’était reconstruite, au point d’avoir renoncé à sa chambrette de Nostre-Dame pour louer un petit logis accolé à la boutique dans la rue de la Lingerie. Bertille avait tenu à rester à son service et Isabeau l’en dédommageait bien. De fait, outre son salaire, l’or apporté de Montguerlhe lui assurait une rente honorable qu’elle prétendait tenir de son veuvage depuis que La Palice lui avait obtenu une dérogation royale pour travailler en qualité de lingère. Comme elle attirait la sympathie en tout point, nul n’aurait su deviner, derrière cette aimable dame, la sauvageonne qui pendant quinze années avait végété au milieu des loups.
La porte de la boutique s’ouvrit à la volée et un vent printanier s’y engouffra. Jacques de Chabannes s’encadra sur le seuil, l’air guilleret. Isabeau se sentit fondre. Elle lui offrit une révérence, qu’il releva de sa main dégantée. La lèvre gourmande, il susurra sur sa paume, le regard brûlant :
– Votre absence, ma dame, était une longue et profonde blessure. La vie me quittait. Je n’en pouvais plus de mourir. Lors me voici.
Elle se retint de se pendre à son cou ; avec les beaux jours la boutique était fréquentée plus régulièrement et deux jolies dames s’y trouvaient. La Palice les salua courtoisement. Isabeau les sentit vexées de son peu d’intérêt et son orgueil s’en piqua. N’étaient-elles pas elles aussi du nombre de ses anciennes maîtresses ? Ne risquait-elle pas de rejoindre leurs rangs si elle cédait à ses pulsions alors qu’elle découvrait de nouveau l’envie d’aimer ? Ces dames étaient mariées, il était de bon ton qu’elles aient un amant, d’ailleurs tout Paris savait bien le tempérament du roi qui autorisait, pour justifier le sien, le plus truculent des libertinages.
Isabeau était veuve, ce qui lui valait un certain respect, bien davantage que dame Rudégonde, qualifiée par beaucoup de courtisane, même si l’on se servait chez elle. Mais saurait-elle faire face si elle venait à être déchue, abandonnée une fois encore ?
De retour chez elle, sur la promesse d’un rendez-vous le lendemain, les souvenirs étaient revenus, et avec eux les interrogations, les doutes. Bertille lui frotta le dos tandis qu’elle tentait de chasser ces frissons dans un bain de mélisse et de pouliot.
– Je crois pour ma part que tu as peur, Isa, affirma la naine qui savait depuis longtemps déjà toute la vérité sur son passé. Demain tu vas te retrouver dans sa couche, et cela t’effraie parce que tu ignores comment tu réagiras à ses caresses. Mais tu ne dois pas craindre l’amour, Isa ! Il t’aime, je l’ai vu dans ses yeux. De plus, Lilvia a lu ton avenir dans les cendres. Vous serez heureux ensemble jusqu’à ce que la mort vous sépare.
– Justement, Bertille. Quand viendra-t-elle m’enlever encore l’homme que j’aime ?
– Lilvia ne le sait pas, mais elle te voit vieillir à ses côtés. Cela devrait suffire à te rassurer. La camarde nous prend tous un jour, Isa. Il ne faut pas oublier de vivre par peur de mourir ou de perdre ce que l’on aime. C’est stupide et tu n’es pas stupide.
– Tu as raison, Bertille, mille fois raison. Il est si prévenant, si attentionné.
– Alors, ne triche pas avec lui.
Bertille était en train de la sécher lorsque des coups sourds résonnèrent contre la porte d’entrée.
– Qu’est-ce donc à cette heure ? s’indigna Bertille en descendant quatre à quatre l’escalier de bois qui menait au rez-de-chaussée.
Isabeau achevait de frotter ses bras, où couraient de fines gouttelettes, apaisée, lorsque Bertille réapparut, en nage d’avoir couru dans les degrés. Elle était excitée et se tordait les mains.
– L’enfanteau, gémit-elle, il arrive, il arrive, je dois y aller. Lilvia m’attend.
Isabeau sentit son cœur bondir dans sa poitrine et ses craintes s’envoler. Lilvia allait accoucher !
– Aide-moi à m’habiller, lança-t-elle joyeusement. Je t’accompagne.
Un moment après, elles longeaient la rue de la Lingerie pour atteindre la cour des Miracles, où Croquemitaine tournait en rond dans la salle souterraine de l’église, les ongles rongés jusqu’au sang. Isabeau assista Lilvia la nuit durant, mettant tout son savoir à soulager ses douleurs par des points de pression, des massages et quelques onguents
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