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La chambre maudite

La chambre maudite

Titel: La chambre maudite Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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couche. Je repars dès que possible et la marierai là-bas.
    –  Qu’offre le père en dot ? demanda-t-il.
    Philippus aspira une goulée d’air et baissa le nez sur son assiette.
    –  Elle est orpheline, hélas, et fort pauvre. Sa seule dot sera cet enfant, mais je l’accepte et n’en veux aucune autre.
    Le père se résigna d’un soupir et sourit à son fils. Ce n’était sans doute pas ce qu’il avait espéré pour lui, mais il était juste, généreux, et savait que rien n’avait plus de valeur qu’un amour sincère et partagé.
    Ils achevèrent leur repas dans une atmosphère de liesse et Philippus oublia vite son mensonge. L’essentiel était dans la ferveur de ses sentiments.
    –  Pourquoi ne pas l’avoir épousée avant de revenir au pays ? demanda son père plus tard, lorsqu’ils eurent pris une liqueur.
    –  C’est une âme noble, mon père. Elle tenait à votre consentement par peur de vous déplaire et a accepté de braver les regards contre ma promesse devant témoins.
    –  C’est une raison, en effet. Si toutefois tu voulais m’en donner une autre, sache que je suis disposé à l’entendre.
    Philippus déglutit. Son père lui sourit, complice. Pourtant il affirma :
    –  C’est la seule que je connaisse, mon père.
    –  Alors nous en resterons là. Sache pourtant que je ne t’enlèverais pas ma bénédiction, même si tu trouvais d’autres choses à me dire. Bonne nuit, mon fils.
    –  Bonne nuit, père.
    Philippus resta seul avec ses résolutions. Il savait pouvoir faire confiance à son père, mais ce secret appartenait à Loraline. Il n’avait pas honte de ce qu’elle était, non, il se disait simplement qu’elle vivrait mieux si nul ne savait jamais ses blessures.
    Cette nuit-là il dormit mal. Le lit était souple, chaud, confortable. Il en avait rêvé pendant deux longues années, de ce matelas de laine épaisse, de ces couvertures qui sentaient bon son enfance, des odeurs de sa vieille ville, du souffle régulier du chien qui avait fêté son retour par des jappements joyeux. Il s’apercevait soudain que tout cela n’avait plus de consistance. Son corps s’était habitué aux paillasses de fortune, à l’odeur d’herbes sèches qui laissaient sur la douce peau de Loraline, au matin, des senteurs de moisson. Après s’être tourné et retourné cent fois dans ce lit trop douillet, il finit par s’endormir, enroulé dans une couverture, par terre, le front entre les pattes du vieux chien qui n’avait pas voulu le quitter.
     
    Un mois durant, il s’activa en tous sens. Pour lui faire un nom, son père accepta de lui céder une partie de sa clientèle qui s’avisa de sa compétence et en répandit le mérite. Philippus savait que ce ne serait pas suffisant, qu’il lui faudrait s’installer à son compte et qu’au début les patients seraient rares, mais il avait conscience d’avoir une grande chance : son père était connu, apprécié et estimé.
    Au terme de nombreuses démarches, il trouva une maison confortable dans la ville voisine de Villach et fut heureux qu’on lui consente un prêt pour s’installer.
    Pourtant, plus il avançait vers ce but qu’il s’était fixé, plus il avait du mal à dormir. La foule, le bruit, lui causaient des maux de tête, les jacassements des patients lui pesaient. Il se prenait malgré lui à s’échapper dès que possible dans la forêt alentour, guettait chaque bruit, avec le secret espoir de se retrouver nez à nez avec un loup. Chaque fois qu’il entendait hurler à la fenêtre de sa chambre laissée ouverte, il dressait l’oreille et se précipitait pour inspirer à pleins poumons les parfums sauvages de la nuit. Il avait beau se convaincre de toutes les meilleures raisons du monde, il ne pouvait nier la trace indélébile que ces cinq mois de réclusion avaient laissée en lui.
    Parfois, obsédant, il imaginait le visage de Loraline collé à la place du sien, cherchant désespérément dans le brouhaha de la ville le souffle régulier des loups, comme un hymne au silence.
    « Elle finira par s’y faire, par oublier ! » se convainquait-il alors, de toutes ses forces, en refermant résolument la fenêtre et en s’installant confortablement dans son lit. Mais plus les jours passaient, plus il se languissait de ce qu’il avait rejeté. Il imaginait cette femme, sa femme, buvant une tisane dans les salons de quelque dame, maigrie et éteinte, l’œil perdu dans des regrets qui finiraient par

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