La chambre maudite
cachot.
– Tu es là, tu es là, mon bon Cythar.
– Nous y sommes aussi, s’entendit-il dire en se précipitant dans le sillage d’Albérie, malgré ses courbatures, malgré tout.
L’instant d’après ils s’étreignaient tous trois avec cette tendresse ultime des angoisses partagées.
Philippus s’arc-bouta encore et encore, jusqu’à en avoir la paume des mains rougie et meurtrie, mais, malgré ses efforts, il ne réussit qu’à griffer et égratigner le cou de Loraline en tentant de desserrer le collier de fer. Il s’écroula finalement à terre, essoufflé.
– Tu t’obstines en vain, Philippus. J’ai tout tenté en ce sens, crois-moi. La serrure est vieille mais efficace.
– Vous devez trouver la clé, Albérie, ragea Philippus en frappant du poing contre la pierre.
Loraline et sa tante échangèrent un regard lourd dans la lueur mourante d’une bougie. Philippus refusait de voir, de comprendre.
– Je vais essayer, mais ce ne sera pas suffisant.
– Laisse, ma tante, intervint Loraline. Laisse-nous seuls et fais de ton mieux.
Albérie hocha la tête. Avant de s’engouffrer dans le passage, elle affirma à l’intention de Philippus :
– Cythar guidera votre retour.
– Approche, mon tendre aimé, chuchota Loraline en tendant vers lui ses mains glacées.
Il s’agenouilla contre elle, enserra ce ventre tendu pour lui faire un rempart et le couvrit de baisers.
– Pas une heure, pas un instant où je n’ai attendu ce moment. Ce geste je l’ai refait cent fois, Loraline. Quelle folie, quelle absurdité, quel non-sens nous a conduits si loin l’un de l’autre. J’ai construit mes rêves de toi dans la lumière, je te retrouve ainsi, humiliée et transie, dans la pénombre. Je ne repartirai pas sans toi. Pas cette fois.
Elle prit le temps de refouler ses larmes, de chasser la peur omniprésente. Elle avait compris lorsqu’ils lui avaient raconté l’étroitesse du passage, compris que son seul espoir tenait en la promesse de François de Chazeron. Elle laissa courir une main tendre dans la chevelure épaisse de Philippus. Malgré la situation, elle avait envie de lui. Elle avait toujours eu envie de lui.
– Je t’aime, Philippus. Je t’ai aimé dès le premier regard et cela sera jusqu’au dernier. Je n’ai jamais douté que tu reviendrais. Jamais. Ecoute. Écoute notre enfant contre ton oreille. Tu dois m’aider à le sauver, Philippus.
– Je vous sauverai tous deux. Albérie va revenir avec la clé…
– Non ! Non ! Je ne passerai pas, Philippus. Le boyau est trop étroit pour mon ventre. Je t’en prie. Ouvre les yeux et accepte ce qui est. Tu ne peux pas me sauver. Pas de cette façon.
Il redressa la tête, le regard injecté de rage devant cette évidence qu’il voulait nier encore et encore.
– Alors j’irai chercher de l’aide. Cet abbé du Moutier me soutiendra. Il te fera délivrer. S’il refuse, j’enfoncerai cette porte et découdrai tout garde qui s’interposera. Mieux encore, je pénétrerai dans la chambre de Chazeron et le menacerai jusqu’à ce qu’il consente à te rendre ta liberté. Tout est possible, tout ! Car rien ne me fait plus peur que de t’abandonner là, à la merci de cet homme.
– Quoi que tu fasses, il te tuera. Tout comme Albérie. Je me souviens de ces mots que ma mère répétait au fort de ses cauchemars : « Le braver, c’est mourir. » Je n’ai pas peur de mourir, Philippus, j’ai peur pour cet enfant. Pour notre enfant. Que lui arrivera-t-il si vous vous faites prendre ? Je refuse qu’il soit condamné. Tant qu’il est en moi, il est en danger, tu comprends ? Nous n’avons plus beaucoup de temps. Lorsque la pleine lune sera, Chazeron découvrira que j’ai menti à propos de la pierre philosophale. Il n’acceptera pas la vérité. Il faut agir avant. Cette nuit.
Philippus déglutit. Elle avait raison. Toutes les solutions qu’il pouvait envisager nécessitaient du temps. Ils en manquaient.
– Que dois-je faire, mon amour ? demanda-t-il, enfin soumis.
– Je dois mettre cet enfant au monde, Philippus, mais cela ne suffira pas à le protéger. Chazeron est assez fou pour s’imaginer que ce petit être pourrait être la clé de sa quête. S’il ne le trouve pas à mes côtés, il remuera ciel et terre, tu entends. Le seul moyen de gagner assez de temps pour parvenir à sortir d’ici est de lui livrer un nouveau-né en sacrifice, à la prochaine lune.
–
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