La chambre maudite
vois…
Il se releva en lui tournant le dos. Loraline songeait au produit répandu à terre. Il en restait. Si elle pouvait le lui faire absorber !
– Dans la grotte, dit-elle. Une fiole de verre bleu. Cette liqueur ne supporte pas la lumière. Je sais pourquoi la mutation n’a pas eu lieu, ajouta-t-elle, seule la pleine lune y est propice.
– L’alkaheist serait donc liquide, grommela-t-il.
Loraline sentit son cœur battre la chamade.
– Soit. La pleine lune sera dans trois jours. Nous verrons si tu dis vrai. Une chose encore : que savent ta sœur et Huc de tes manigances ?
Loraline se força au calme.
– Rien, assura-t-elle. Albérie me croit morte. C’était mieux ainsi, pour sa propre sécurité.
– Tant mieux. Pour elle comme pour toi.
Sur ces derniers mots, il gravit les trois marches suintantes qui conduisaient à la porte du cachot, cogna contre le bois et s’effaça par le passage qu’on lui ouvrait. Lorsque Loraline se retrouva seule, elle sentit des larmes lui picoter les yeux.
Avec un peu de chance, il ne trouverait pas la chambre mortuaire et les deux corps, il absorberait le poison et mourrait dans d’atroces souffrances.
Mais elle ne parvenait à se l’imaginer vraiment.
« Les fous sont insolents, songea-t-elle. Ils s’ingénient à ne pas mourir. Bah ! Il me reste une dernière carte à jouer : la vérité. »
Mais quelque chose lui disait qu’il n’aurait sûrement pas envie de l’entendre. Elle caressa doucement son ventre pour apaiser les coups de l’enfant. Il était bas. Elle le sentait peser sur sa vessie. Elle se cala de son mieux et s’efforça de chasser les relents d’images qui s’obstinaient devant ses yeux. Elle ne pouvait plus rien pour ses compagnons à quatre pattes. Il ne lui servirait à rien de ressasser son chagrin. Chazeron croyait Philip-pus défunt. Il était sa dernière chance. Elle mobilisa son énergie pour penser à lui. Seulement à lui. Comme une prière. Un appel au secours. En souhaitant de toutes ses forces qu’il l’entende.
18
Lorsque Philippus parvint au seuil des corridors qui s’élargissaient vers la salle souterraine, il comprit tout de suite que quelque chose d’inhabituel s’y passait.
Des lumières vacillaient de part et d’autre de la pièce et des voix se répondaient, entremêlées de rires et d’échos. Son sang s’accéléra, mais il refusa la fuite. Il s’approcha le plus possible, se dissimulant au mieux dans l’obscurité du boyau jusqu’à atteindre une anfractuosité de roche d’où il put couvrir d’un regard l’étendue du désastre.
Quatre hommes retournaient et fouillaient chaque recoin, éventrant les paillasses, enjambant les cadavres des loups. Il eut envie de bondir, de hurler, mais la vision de Chazeron penché sur les grimoires d’Isabeau arrêta son geste. Il le vit s’emparer des bocaux de verre, des fioles et des cahiers avec ses acolytes, puis disparaître dans le souterrain qui ramenait vers sa chambre.
Lorsque le bruit de leurs pas se fut éloigné, il pénétra dans la salle dévastée. Il fouilla la pièce à son tour, se rassura de ne pas y trouver le cadavre de Loraline, ferma les yeux de quelques bêtes dont le corps commençait à se raidir, puis se laissa choir à terre et, bouleversé, se mit à pleurer. C’est alors qu’il le vit. Cythar. L’animal le fixait de son regard apeuré et douloureux derrière un rocher où il s’était réfugié. D’un bond, Philippus se retrouva à ses côtés. Le loup souffrait d’une plaie au flanc qui lui avait abîmé une patte arrière. Il avait perdu beaucoup de sang et s’était probablement couché là pour mourir. Philippus caressa son front et le laissa lécher sa main tendue. Son instinct médical refoula sa peur. Il rassura Cythar et retourna quérir dans les vestiges de la grotte de quoi soigner son vieil ami. Dans une coupelle, il lui rapporta de l’eau fraîche, puis s’activa avec des gestes doux, précis, comme s’il s’était agi d’un enfant, comme il avait vu Loraline le faire durant ces longs mois.
Ensuite, il attendit. L’animal était faible, mais, s’il vivait encore au matin, il serait sauf. Avec son aide, il parviendrait peut-être à la retrouver. Où qu’elle soit. Il fut tenté un instant de partir à sa recherche, mais le risque de se perdre dans le dédale des souterrains était trop grand. S’il se voulait utile et efficace, il fallait attendre. Attendre et
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