La chambre maudite
vous ai parlé, mon mari !
– Et je vous ai entendue. Bonsoir ! ajouta-t-il pour clore la discussion sans seulement lui jeter un regard.
Antoinette prit une profonde inspiration et, passant outre, poursuivit d’un ton égal.
– Je ne veux pas perdre cet enfant.
– Bien.
Le ton était poli, mais Antoinette perçut une pointe d’agacement.
« Sa lecture doit être importante », comprit-elle. Qu’importe ! Ce qu’elle avait à lui dire aussi. Elle rassembla tout son courage et s’obligea à conserver une voix ferme :
– J’ai demandé à Albérie de me préparer une autre chambre.
Il y eut un nouveau silence. Puis François redressa la tête et elle s’aperçut qu’un bûcher plus ardent encore rougeoyait dans ses yeux. Elle détourna la tête. Elle tremblait.
– Pardon ? demanda-t-il.
– L’apothicaire du Moutier m’a déconseillé toute étreinte durant ma grossesse, il prétend que cela peut entraîner des fausses couches, et je vous l’ai dit, je refuse de courir ce risque, bredouilla Antoinette, le cœur battant si fort qu’elle se demanda si François avait pu l’entendre dans ce vacarme.
– Et s’il me plaît à moi de vous prendre ?
« Non ! rugit en elle une petite voix. Non, je t’interdis de lui céder encore, affronte-le ! Affronte-le », insista la voix qui soudainement eut les accents du prévôt. Retrouvant tout son courage, Antoinette fit face à son époux et le toisa, comme elle avait toisé Albérie tout à l’heure.
– Vous attendrez, messire ! Vous attendrez que j’aie mis votre fils au monde.
Puis adoucissant son ton devant la colère qu’elle voyait monter en lui, elle implora en glissant à ses genoux :
– Je me suis toujours inclinée devant vos désirs. Pas une fois, François, je n’ai tenu tête à vos humeurs, à vos exigences, à vos décisions, essayant d’être à vos côtés la meilleure et la plus dévouée des épouses. Aujourd’hui mes nerfs sont mis à rude épreuve. Ces enfants transis de froid que j’approche chaque jour me font cruellement éprouver le besoin d’être mère. Je me sens si démunie, si fragile ! Vous vouliez une descendance en m’épousant, François, laissez-moi vous la donner. Je vous en prie. Epargnez-moi vos désirs jusqu’au terme, et je saurai me montrer plus aimante que jamais.
Dans le silence qui suivit, le souffle irrégulier de son époux était assourdissant. Il était furieux contre elle, elle le savait, et cependant, refuser sa demande, c’était aller à l’encontre du sens même des raisons de leurs épousailles. Il fallait une descendance au seigneur de Chazeron, et François n’était pas assez stupide pour ne pas se rendre à cette évidence. « Sale orgueil de coq », rumina-t-elle en lui offrant un regard éperdu de tendresse.
– Retirez-vous dans votre chambre, ordonna-t-il enfin, vous ne m’inspirerez guère de désir lorsque vous vous trouverez grosse et que je devrai subir vos malaises et geignements. Je n’aurais pas osé vous rejeter de ma couche mais, puisque vous me le suggérez, j’aurais mauvaise grâce à vous le refuser. Bien évidemment, vous vous doutez qu’une de vos suivantes vous y remplacera, ajouta-t-il, cynique.
– Je saurai m’en accommoder, messire. Vous êtes le maître en cette demeure, conclut-elle obséquieusement, pour dissimuler à la fois le plaisir de sa victoire et le peu d’estime qu’elle lui accordait désormais.
Elle se releva et, parée de son plus gracieux sourire, sortit de la chambre de François pour s’enfermer dans la sienne.
Albérie referma soigneusement la porte derrière elle, comme chaque fois qu’elle découvrait Huc assis sur son lit, à l’attendre. Il avait allumé la flambée dans la cheminée face à sa couche, et la pièce, petite et sobre, se trouvait baignée d’une chaleur douce et lumineuse. Au-dehors des murailles de Montguerlhe un vent vif venu du nord gelait les rigoles où subsistait une eau résiduelle.
Demain, dès l’aube, un givre épais envelopperait les longs doigts des branches encore meurtries par la tempête, donnant à ce paysage de deuil l’allure d’un somptueux ballet d’étoiles. Albérie aimait le silence qui drapait l’azur, durant ces périodes hivernales. Relâchant un peu la tension de ces dernières semaines, depuis qu’elle subissait la présence de François dans ses murs, elle sourit doucement et s’approcha de son époux avec
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