La chambre maudite
ces longues journées maussades et, d’autre part, parce que Huc affichait un visage détendu et serein qu’elle ne lui avait jamais vu.
« Il s’éloigne de son épouse et se rapproche de moi », s’imaginait-elle en l’écoutant plaisanter avec ses hommes ou saluer amicalement les manants qui s’activaient tous à reconstruire ce que la tempête avait mis à mal.
Malgré la mélancolie que la catastrophe avait semée sur les chemins, la bise aigrelette chargée des senteurs de terre mouillée et de mousse putride chatouillait les narines d’un plaisir neuf. Des chants d’oiseaux leur venaient aux oreilles, répondant à la voix mélodieuse qui s’élevait hardiment et qui agaçait François de Chazeron au point, à plusieurs reprises, de tancer sa femme d’un œil noir. Antoinette avait feint de ne pas comprendre et, persuadée que Huc de la Faye et ses compagnons appréciaient, quant à eux, sa chanson, n’en avait qu’entonné de plus belle, jusqu’à ce qu’advienne enfin ce qu’elle espérait. Poussant sa monture au galop, François, excédé, se détacha du groupe et partit de l’avant. Lorsque Huc fit mine de le rejoindre, elle l’arrêta d’un ordre :
– N’en faites rien, mon ami. Vous l’empêcheriez de s’isoler en sa tour et c’est tout ce qu’il désire, croyez-moi. Bavardons plutôt, voulez-vous ?
Se rangeant à sa remarque, Huc ramena son cheval à la hauteur du sien. Ils chevauchèrent côte à côte un moment en silence, suivis à distance par l’escorte qui, d’un signe du prévôt, s’était faite discrète, puis Antoinette se remit à chantonner et laissa Huc se bercer plaisamment de sa voix cristalline. C’était un plaisir rare à Montguerlhe. Parfois lui parvenaient les accords mélodieux de quelques lavandières, mais elles se taisaient dès que s’approchaient les hommes.
– Je n’ai guère eu l’occasion d’entendre chanter votre épouse, remarqua Antoinette en écho à ses pensées.
Curieusement, Huc se sentit amer d’avoir à lui répondre.
– Albérie ne chante pas. Je crois que sa voix ne s’y prête guère.
– Oh ! comme cela doit être triste, s’apitoya Antoinette, ravie au fond d’elle-même de posséder un atout supplémentaire contre sa rivale ; tout paraît si léger, si joyeux avec de la musique. Mon bon Huc, vous avez bien du mérite de vous satisfaire de si peu de distractions.
Pour ma part, et quoi qu’en manifeste mon époux, je ne saurais me passer d’elles. Puisque nous nous rendons à Vollore, nous en rapporterons ma harpe. J’en jouerai pour vous… Et pour votre épouse, ajouta-t-elle pour bien marquer sa préférence, d’un ton si doux qu’il ressemblait à une caresse.
Huc sentit malgré lui son sang battre plus fort à ses tempes. Il hocha la tête et se rembrunit.
L’attrait qu’exerçait sur lui Antoinette l’agaçait de plus en plus. Il la connaissait et la respectait depuis son arrivée à Vollore et jamais auparavant il n’avait ressenti pareil trouble. Il s’efforça de penser à Albérie et à son bonheur lorsqu’il lui avait annoncé qu’il avait réussi à éloigner François. « Ainsi, avait-il conclu, tu pourras en toute quiétude t’occuper de Loraline. »
En cet instant pourtant, il se demandait s’il l’avait fait pour elle ou pour sa propre conscience. Bien qu’il s’en défendît depuis quinze ans, il s’en voulait d’avoir été suffisamment guavashé 1 pour se rendre complice de l’abomination de son maître, même si, il le savait, le seigneur de Vollore avait tous les droits.
« Enfin, songea-t-il, la mort d’Isabeau va délivrer Albérie. » Mais n’était-ce pas lui au fond qu’il souhaitait libérer ? De qui ou de quoi ? Cette pensée le glaça, d’autant qu’au même instant, lassée de son mutisme, Antoinette s’informait en toute innocence :
– Qu’en était-il au juste de ce fameux loup auquel on a imputé de nombreux crimes ?
Huc se tourna vers elle, l’œil hagard :
– Comment savez…
Mais il s’arrêta dans son élan et se reprit aussitôt, maladroitement, se forçant au calme :
– D’où tenez-vous cette fable ?
Antoinette soupira bruyamment.
– Ainsi donc, ce que racontent les manants serait vrai. Un garou aurait bel et bien hanté la contrée par le passé. J’ai surpris une conversation il y a quelques jours à l’abbaye du Moutier entre deux miséreux. L’un d’eux disait qu’ils n’avaient pas connu
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