La chance du diable
et s’était montré de plus en plus critique à l’égard de Hitler et de son bellicisme. Lorsqu’il avait servi en Pologne, cependant, il n’avait pas caché son mépris pour les Polonais et avait approuvé la colonisation du pays tout en s’enthousiasmant pour la victoire de l’Allemagne. Il se réjouit davantage encore après les succès stupéfiants de la campagne de l’ouest et laissa entendre qu’il avait changé d’avis sur Hitler.
Il n’en était pas moins consterné par la barbarie du régime. Et à la fin du printemps 1942, lorsqu’il se retourna définitivement contre Hitler, ce fut sous l’influence de rapports de témoins incontestables des massacres des Juifs ukrainiens par les SS. Découvrant ces carnages, Stauffenberg en conclut qu’il fallait éliminer Hitler. Comme le firent valoir quelques-uns de ses détracteurs, c’est un peu tardivement qu’il finit par se laisser convaincre de rejoindre les conjurés. Alors qu’il servait en Afrique du Nord, dans la 10 e division de panzers, il fut grièvement blessé en avril 1943 et perdit l’œil droit, la main droite et deux doigts de la main gauche. Peu après sa sortie de l’hôpital, en août, alors qu’il parlait à Friedrich Olbricht d’un nouveau poste de chef d’état-major au bureau général de la guerre de Berlin, on lui demanda timidement de rallier la résistance. Sa réponse ne faisait guère de doute. Il en était déjà arrivé à la conclusion que la seule solution était de tuer Hitler.
Début septembre, Stauffenberg avait été présenté aux principaux animateurs de l’opposition. Pour autant qu’on puisse le déduire, son attitude politique, à compter du jour où il rejoignit la résistance, n’avait pas grand-chose à voir, sinon rien, avec celle des nationaux conservateurs – il avait presque du dédain pour les vues de Gœrdeler – et était désormais plus proche de celles du « cercle de Kreisau ». À la différence de Tresckow, cependant, Stauffenberg était un homme d’action, un organisateur plus qu’un théoricien. Au cours de l’automne 1943, les deux hommes réfléchirent à la meilleure manière d’assassiner Hitler et à la question, distincte, mais liée, d’organiser le coup d’État qui devait suivre. Pour prendre le contrôle de l’État, ils en arrivèrent à l’idée de remanier un plan opérationnel, connu sous le nom de code de « Walkyrie », déjà mis au point par Olbricht et approuvé par Hitler, en vue de mobiliser l’armée de réserve en Allemagne dans l’éventualité de graves troubles intérieurs. Le plan refondu commençait par dénoncer non pas les « subversifs » antinazis, mais les putschistes au sein même du parti nazi : une « clique sans scrupules de chefs du parti non combattants » qui « a essayé d’exploiter la situation pour donner un coup de poignard dans le dos au front profondément engagé et de s’emparer du pouvoir à des fins intéressées ». Aussi était-il nécessaire de proclamer la loi martiale. Le but de « Walkyrie » avait été de protéger le régime : il s’agissait maintenant d’une stratégie pour l’éliminer.
Le déclenchement de « Walkyrie » posait deux problèmes. Le premier était que l’ordre devait venir du chef de l’armée de réserve. Il s’agissait du général Erich Fromm, né en 1888 dans une famille protestante avec de fortes traditions militaires. Grand, de tempérament réservé, il était très attaché à l’armée dans laquelle il voyait le garant du statut de puissance mondiale de l’Allemagne. Sans être un farouche partisan de Hitler, Fromm était soucieux de ménager la chèvre et le chou et ne voulait pas s’engager. Prudent, il désirait ne se fermer aucune option et soutiendrait la partie qui l’emporterait : le régime ou les putschistes (une stratégie qui devait se retourner contre lui). L’autre problème était toujours celui de l’accès à Hitler. Tresckow en était arrivé à la conclusion que seule une tentative d’assassinat au QG du Führer pourrait contourner l’obstacle de l’imprévisibilité de son emploi du temps et des mesures de sécurité très strictes qui l’entouraient. La difficulté était de trouver un homme prêt à perpétrer l’attentat et qui eût des raisons d’être dans le proche entourage de Hitler à son QG.
Stauffenberg, qui avait donné un nouvel élan aux ardeurs fléchissantes de l’opposition, voulait
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