La chance du diable
Alliés parachuteraient des troupes dans les villes allemandes pour épauler le coup d’État.
Cet espoir illusoire continuait de laisser hors de l’équation le point de départ : comment écarter Hitler ? Et qui devait s’en charger ? Plutôt que les visions utopistes du futur ordre social et politique, telle était la première urgence qui ne laissait pas de préoccuper Tresckow et ses camarades officiers engagés dans l’opposition. Loin de s’arranger, le problème devint plus difficile encore au cours de l’été et de l’automne 1943. Leur espoir était de convaincre Erich von Manstein, chef d’état-major du groupe A de l’armée de terre, de s’engager dans l’opposition ; cet espoir fut totalement anéanti au cours de l’été. « Les feld-maréchaux prussiens ne se mutinent pas », répondit-il d’une formule lapidaire aux coups de sonde de Gersdorff. Au moins Manstein avait-il le mérite de la sincérité et de la franchise. Kluge, en revanche, souffla le chaud et le froid, commençant par apporter son appui à Tresckow et à Gersdorff avant de le retirer. Il n’y avait rien à attendre de ce côté-là, même si les membres de l’opposition conservèrent l’illusion que Kluge était au fond de leur côté.
Il y eut d’autres revers. Beck tomba gravement malade. Et Fritz-Dietlof Graf von der Schulenburg - ce juriste de formation avait d’abord eu des sympathies pour le nazisme et occupé diverses positions administratives haut placées au sein du régime, puis il était devenu l’agent de liaison entre l’opposition militaire et civile – fut soumis à des interrogatoires, puis relâché. On le soupçonnait d’être impliqué dans des projets de coup d’État. D’autres, dont Dietrich Bonhœffer, furent également arrêtés, tandis que les tentacules de la Gestapo menacèrent les figures de proue de la résistance. Pis encore : Hans von Dohnanyi et Hans Oster, de l’Abwehr, furent arrêtés en avril 1943, au départ pour de prétendues opérations irrégulières sur des devises étrangères, bien que cela fît naître alors des soupçons sur leur implication dans l’opposition politique. Le chef de l’Abwehr, l’amiral Wilhelm Canaris, rompu aux manœuvres de dissimulation, réussit pendant un temps à égarer les agents de la Gestapo. En tant que centre de la conjuration, cependant, l’Abwehr n’était plus tenable. En février 1944, son département étranger, qu’Oster avait dirigé, fut intégré à la direction centrale de la Sûreté du Reich, et Canaris, si douteux fût-il aux yeux de l’opposition, fut à son tour placé en résidence surveillée.
Profitant de ses permissions à Berlin, Tresckow ne se lassait pas de relancer des plans d’action contre Hitler. En octobre, il fut affecté à la tête d’un régiment sur le front, loin de sa position jusque-là influente au QG du groupe d’armées centre. À la même époque, Kluge fut blessé dans un accident de la route et remplacé par le feld-maréchal Ernst Busch, partisan déclaré de Hitler, au point que toute tentative d’assassinat de ce côté- là pouvait désormais être exclue. Sur ce, Olbricht reprit l’idée, précédemment évoquée, mais jamais sérieusement envisagée, de déloger Hitler et de fomenter un coup d’État, non pas depuis l’armée du front, mais depuis le QG de l’armée de réserve, à Berlin. Trouver un assassin qui eût accès à Hitler avait été un gros problème. On en avait maintenant un sous la main.
3 L’attentat
Claus Schenk Graf von Stauffenberg était issu d’une famille aristocratique de Souabe. Né en 1907, ce dernier d’une fratrie de trois grandit sous l’influence du catholicisme – bien que sa famille ne fut pas pratiquante – et du mouvement de la jeunesse. Il fut particulièrement attiré par les idées du poète Stefan George, que portait aux nues un cercle de jeunes admirateurs sensibles étrangement captivés par son vague mysticisme culturel néoconservateur, qui fuyait l’existence stérile de la bourgeoisie pour former une nouvelle élite faite d’esthétisme aristocratique, de piété et de virilité. Comme nombre de jeunes officiers, Stauffenberg avait d’abord été séduit par certains aspects du nazisme, notamment par l’insistance sur la valeur de forces armées puissantes et sur la politique extérieure contre le traité de Versailles. En revanche, il rejetait son antisémitisme racial
Weitere Kostenlose Bücher