La chance du diable
certainement eu aucun survivant.
Le briefing avait lieu, comme d’habitude, dans la baraque en bois protégée par la haute clôture du périmètre étroitement surveillé de la « Tanière du Loup ». Il avait déjà commencé lorsque Stauffenberg y fut introduit. Assis au centre de la table, au plus près de la porte, face aux fenêtres, Hitler écoutait le général de division Adolf Heusinger, chef des opérations au QG de l’état-major général, décrire la dégradation rapide de la situation sur le front est. D’un air absent, Hitler serra la main de Stauffenberg, lorsque Keitel le lui présenta, puis en revint au rapport de Heusinger. Stauffenberg avait demandé une place le plus près possible du Führer. Sa déficience auditive ainsi que la nécessité d’avoir ses documents à portée de main quand il parlerait de la création d’un certain nombre de divisions à partir de l’armée de réserve afin d’aider à bloquer la percée soviétique en Pologne et en Prusse-Orientale lui fournissaient un bon prétexte. On lui trouva une place à la droite de Hitler, en bout de table. Freyend, qui avait porté la serviette de Stauffenberg dans la pièce, la déposa sous la table, devant le pied droit massif.
À peine était-il arrivé que Stauffenberg invoquât un prétexte pour se retirer. Son manège ne devait pas attirer particulièrement l’attention. Au cours des conférences quotidiennes, les allées et venues étaient nombreuses. Les appels téléphoniques importants ou l’obligation de s’absenter momentanément n’étaient pas rares. Stauffenberg laissa son képi et sa ceinture derrière lui pour faire croire qu’il reviendrait. Sitôt dehors, il pria Freyend de lui obtenir la communication avec le général Fellgiebel. Mais dès que Freyend eut regagné le briefing, Stauffenberg raccrocha et se précipita au bâtiment des aides de camp de la Wehrmacht, où il retrouva Haeften et Fellgiebel. Le lieutenant Ludolf Gerhard Sander, officier de communications dans le service de Fellgiebel, était également présent. Entre-temps, l’absence de Stauffenberg au briefing avait été remarquée ; on avait eu besoin de lui pour préciser un point au cours de l’exposé de Heusinger. Mais personne ne se doutait de rien. Au centre des aides de camp, Stauffenberg et Haeften prenaient en toute hâte leurs dispositions concernant la voiture qui devait les ramener à toute vitesse au terrain d’aviation lorsqu’on entendit une explosion assourdissante du côté des baraques. Fellgiebel lança à Stauffenberg un regard alarmé. Celui-ci haussa les épaules. Sander ne semblait pas surpris. Autour du complexe, il arrivait souvent que des animaux sauvages fissent sauter des mines. Il était à peu près 12 h 45.
Stauffenberg et Haeften partirent pour le terrain d’aviation dans leur voiture avec chauffeur aussi rapidement qu’il était possible sans éveiller les soupçons. Quand Stauffenberg parvint à circonvenir les gardes du périmètre intérieur, l’alerte n’avait pas encore été donnée. En revanche, il eut le plus grand mal à sortir du périmètre extérieur. La sirène d’alarme avait alors retenti. Il lui fallut téléphoner à un officier, le Rittmeister Leonhard von Mollendorf, qui le connaissait et qui voulut bien autoriser son passage. Une fois dehors, la voiture fonça en direction de l’aéroport en négociant les tournants sur les chapeaux de roues. Sur la route, Haeften jeta un paquet contenant le second explosif. Le chauffeur les déposa à une centaine de mètres de l’avion qui les attendait et rentra aussitôt. À 13 h 15, ils étaient en route pour Berlin, fermement convaincus que nul n’avait pu survivre à l’explosion, que Hitler était mort. La bombe eût-elle été placée dans un bunker de béton, au lieu de ces cabanes de bois où se tenaient régulièrement les conférences en début d’après-midi, ils auraient eu raison.
Lorsque la bombe avait sauté, avec une flamme bleue et jaune et une explosion à déchirer le tympan, Hitler était penché au-dessus de la table de chêne massif. Le coude sur la table, le menton dans la main, il étudiait sur une carte des positions de reconnaissance aérienne. Les fenêtres et les portes furent soufflées. Des nuages de fumée épaisse s’élevèrent en tourbillonnant. Des éclats de verre, des bouts de bois et une pluie de paperasses et de débris divers volèrent en tous sens. Le feu se mit à dévorer
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