La chance du diable
»
À cette heure, Stauffenberg approchait de Berlin. Les conjurés attendaient impatiemment son retour, ou des nouvelles de lui, ne sachant toujours pas s’ils devaient lancer 1’« opération Walkyrie ». Le message que Fellgiebel avait réussi à faire passer, dès avant que Stauffenberg n’eût décollé de Rastenburg, au général de division Fritz Thiele, chef des communications à l’OKH, était moins clair qu’il ne pensait. Il s’était passé quelque chose de terrible : le Führer était toujours en vie. C’était tout. Il n’y avait pas le moindre détail. On ne savait pas très bien si la bombe avait explosé, si Stauffenberg avait été empêché (comme quelques jours auparavant) d’accomplir l’attaque, s’il avait été arrêté ni même s’il vivait encore. D’autres messages filtrèrent, indiquant qu’il s’était certainement passé quelque chose à la « Tanière », mais que Hitler avait survécu. Fallait-il encore lancer « Walkyrie » ? Aucun plan d’urgence n’avait été établi pour accomplir un coup d’État si Hitler était encore en vie. Et sans avoir confirmation de la mort de Hitler, Fromm, en sa qualité de commandant de l’armée de réserve, n’allait certainement pas approuver le coup d’État. Olbricht en conclut que passer à l’action avant d’avoir des nouvelles définitives serait conduire toutes les personnes concernées à la catastrophe. Un temps précieux fut ainsi perdu. L’un des conjurés, Hans Bernd Gisevius, lié à l’opposition depuis 1938, était à l’époque agent de l’Abwehr en Suisse et venait juste de rentrer en Allemagne. Par la suite, il ne devait pas trouver de mots assez durs pour dénoncer l’incompétence d’Olbricht. « Sans chef et sans cervelle », devait-il lâcher pour qualifier le groupe qui attendait le retour de Stauffenberg au Bendlerblock, le quartier général du commandement de la Wehrmacht, situé dans la Bendlerstrasse. En attendant, les communications depuis la « Tanière » n’avaient pu être bloquées que temporairement. Peu après 16 heures, avant qu’un coup d’État ait pu être lancé, les lignes avaient été rouvertes.
Stauffenberg arriva à Berlin entre 14 h 45 et 15 h 15. Aucune voiture ne vint à sa rencontre. Son chauffeur l’attendait à l’aérodrome de Rangsdorf alors que son avion s’était posé au Tempelhof (ou sur un autre aérodrome de Berlin, ce détail n’est pas parfaitement clair). Exaspéré, il dut appeler une voiture par téléphone pour se faire conduire avec Haeften à la Bendlerstrasse. Nouveau retard. En cette phase critique, Stauffenberg n’atteignit le QG des conjurés, où la tension était à son comble, que vers 16 h 30. Entre-temps, Haeften avait téléphoné de l’aérodrome à la Bendlerstrasse. Il déclara que Hitler était mort. Les conjurés entendaient ce message pour la première fois. Stauffenberg le répéta lorsqu’il arriva à la Bendlerstrasse accompagné de Haeften. Il se trouvait à l’extérieur avec le général Fellgiebel et il avait vu arriver les premiers secours et les véhicules d’urgence. Personne n’avait pu survivre à une explosion pareille, conclut-il. Si convaincant que fût ce message pour ceux qui voulaient y croire, un personnage clé, le général Fromm, savait à quoi s’en tenir. Il s’était entretenu avec Keitel vers 16 heures et avait appris que le Führer ne souffrait que de blessures superficielles. Cela étant, Keitel avait demandé où avait bien pu passer le colonel Stauffenberg.
Lorsque Olbricht lui demanda de signer l’ordre de « Walkyrie », Fromm refusa catégoriquement. Sans attendre le retour d’Olbricht, venu leur annoncer le refus de Fromm, son chef d’état-major impatient, le colonel Mertz von Quirnheim, vieil ami de Stauffenberg et de longue date associé au complot, avait déjà lancé l’action en adressant aux commandants militaires régionaux un message câblé qui commençait par ces mots : « Le Führer, Adolf Hitler, est mort. » Quand Fromm voulut faire arrêter Mertz, Stauffenberg lui fit savoir que c’était lui, Fromm, qui était en état d’arrestation.
Divers chefs de file de la conjuration avaient alors été contactés et avaient commencé à se réunir à la Bendlerstrasse. Beck était là, qui déjà annonçait qu’il avait repris les rênes de l’État, et que le feld-maréchal Erwin von Witzleben, ancien commandant en
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