La chance du diable
les ruines de la baraque détruite. Pendant un temps régna un désordre indescriptible. Au moment de l’explosion, vingt-quatre personnes se trouvaient là. Certains furent plaqués au sol ou projetés de l’autre côté de la pièce. D’autres se retrouvèrent avec les cheveux ou les habits en feu. Des formes humaines se déplaçaient en trébuchant, commotionnées, à demi aveuglées, les tympans déchirés. Au milieu des débris et de la fumée, elles cherchaient désespérément à s’extraire de la cabane. Les moins chanceux gisaient parmi les décombres, certains très grièvement blessés.
Onze des blessés les plus graves furent transportés d’urgence jusqu’à un hôpital de campagne, à un peu plus de trois kilomètres de là. Le sténographe, le Dr Heinrich Berger, exposé de plein fouet, eut les deux jambes arrachées et mourut dans l’après-midi. Le colonel Heinz Brandt, bras droit de Heusinger (et, ainsi qu’il apparut, lié à la conspiration), perdit une jambe et mourut le lendemain, de même que le général Gunther Korten, chef d’état-major de la Luftwaffe, « poignardé » par un éclat de bois. L’aide de camp de Hitler pour la Wehrmacht, le général de division Rudolf Schmundt, perdit un œil et une jambe et fut gravement brûlé au visage. Il devait finir par succomber à l’hôpital quelques semaines plus tard. Parmi les personnes présentes, Keitel et Hitler furent les seuls à ne pas être commotionnés ; et Keitel fut le seul à ne pas avoir les tympans déchirés.
Hitler s’en était remarquablement bien tiré. Il n’avait que des blessures superficielles. Après le choc initial de l’explosion, il s’assura qu’il était indemne et pouvait bouger. Puis il se dirigea vers la porte à travers les décombres tout en s’efforçant d’éteindre son pantalon en feu et en rejetant en arrière sa chevelure roussie. Comme il sortait, il se heurta à un Keitel larmoyant, qui le serra dans ses bras en s’écriant : « Mon Führer, vous êtes vivant, vous êtes vivant ! » Keitel aida Hitler à sortir des ruines. La veste de son uniforme était déchirée, son pantalon noir et ses longs sous-vêtements blancs en lambeaux. Mais il marchait sans difficulté et regagna aussitôt son bunker. Le Dr Morell fut appelé d’urgence. Hitler avait le bras droit enflé et endolori au point qu’il pouvait à peine le lever ; il avait des tuméfactions et des écorchures au bras gauche, des brûlures et des cloques aux mains et aux jambes (également pleines d’éclats de bois) ainsi que des coupures au front. Mais, en dehors de ses tympans déchirés, il n’avait pas de blessure plus grave. Lorsque, pris de panique, Linge, son valet de chambre, accourut, Hitler était calme et arborait un sourire sardonique : « Linge, quelqu’un a essayé de me tuer. »
Below, son aide de camp pour la Luftwaffe, s’en était tiré avec des blessures relativement légères. Malgré le choc et les bris de verre qui lui avaient lacéré le visage, il avait eu assez de sang-froid pour se précipiter au centre de transmissions, où il demanda que fussent bloquées toutes les communications, en dehors de celles de Hitler, de Keitel et de Jodl. En même temps, il fit appeler Himmler et Göring pour leur demander de rejoindre le bunker de Hitler où il se rendit à son tour. Hitler était assis dans son bureau, l’air visiblement soulagé, tout disposé à faire voir ses habits en lambeaux – apparemment avec un soupçon de fierté. Déjà, il se demandait qui était derrière la tentative d’assassinat. Selon Below, il rejeta l’idée (à laquelle il semble que l’on ait cru dans un premier temps) que la bombe avait été placée par des ouvriers qui se trouvaient temporairement à son QG afin d’en renforcer l’enceinte contre les raids aériens. À ce moment-là, les soupçons s’étaient inéluctablement reportés sur Stauffenberg, qui avait disparu de la circulation. On se mit à sa recherche vers 14 heures, lorsque commença l’enquête sur la tentative d’assassinat, mais on n’avait pas encore compris que l’attentat devait être le signal d’un soulèvement général contre le régime. La rage de Hitler qui s’était toujours méfié des chefs de l’armée de terre montait de minute en minute. Sa vengeance serait terrible contre ceux qui, à l’heure de la crise, poignardaient le Reich dans le dos.
4 « Le Führer est en vie !
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