La chance du diable
l’enregistrement sonore. À certains moments, les accusés n’en trouvèrent pas moins le courage de défier leur juge. Ainsi, lorsque la peine de mort attendue eut été prononcée, le général Fellgiebel marmonna : « Alors, ne perdez pas une minute pour nous pendre, monsieur le président ; sans quoi vous serez pendu plus vite que nous. » Et le feld-maréchal von Witzleben de s’exclamer : « Vous pouvez bien nous remettre au bourreau. Dans trois mois, le peuple enragé et tourmenté vous demandera des comptes et vous traînera vivant dans le caniveau. » Cette sinistre parodie de justice fut tellement criante que même le ministre de la Justice du Reich, Otto Georg Thierack – lui-même nazi fanatique qui, dans son ardeur idéologique, avait alors pratiquement abandonné les derniers vestiges d’un système juridique totalement perverti par l’illégalité et par l’arbitraire policier des SS – , déplora par la suite la conduite de Freisler.
Les verdicts prononcés, les condamnés furent pour la plupart conduits à la prison de Plôtzensee, à Berlin. Sur instruction de Hitler, on devait leur refuser les derniers sacrements et l’assistance d’un prêtre ou d’un pasteur (dans les faits, cependant, cet ordre impitoyable fut au moins partiellement contourné). Pour les crimes commis par des civils, la forme normale d’exécution sous le III e Reich était la décapitation. Mais Hitler avait dit et redit qu’il voulait voir les auteurs de la conjuration du 20 juillet 1944 « pendus, pendus comme des quartiers de viande ». Dans la petite salle d’exécution de plain-pied, aux murs blanchis à la chaux et divisée par un rideau noir, des crochets, en fait des crochets de boucher, avaient été suspendus à une traverse fixée juste sous le plafond. D’ordinaire, la seule lumière de la pièce venait de deux fenêtres, éclairant faiblement une guillotine souvent utilisée. Cette fois-ci, cependant, en tout cas pour les premiers groupes de conjurés condamnés, les exécutions allaient être filmées et photographiées. Comme pour le tournage des débats, l’ordre venait vraisemblablement de Hitler ou de Gœbbels. La scène macabre était donc éclairée par des projecteurs, comme dans un studio de cinéma. Dans un angle de la pièce se trouvait une petite table avec une bouteille de cognac, pour ceux qui assistaient aux exécutions. Les condamnés furent introduits, menottés et vêtus de pantalons de détenus. Il n’y eut pas de dernier mot, ni prêtre ni pasteur pour les réconforter, rien que l’humour noir du bourreau. Les récits des témoins oculaires parlent de la fermeté et de la dignité des exécutés. La pendaison avait lieu dans les vingt secondes qui suivaient l’entrée du prisonnier dans la pièce. La mort, cependant, n’était pas immédiate. Pour certains, elle vint vite ; pour d’autres, l’agonie fut lente et dura plus de vingt minutes. Pour ajouter encore à l’obscénité, il se trouva des bourreaux pour arracher les pantalons des suppliciés avant leur mort. Et pendant ce temps, la caméra tournait. Le film et les photographies macabres furent ensuite expédiés au QG de Hitler. Speer confia plus tard en avoir aperçu un tas sur la table des cartes du Führer, lorsqu’il se rendit à la « Tanière du Loup », le 18 août. Ce soir-là, des SS et quelques civils allèrent voir la projection du film des exécutions, mais aucun membre de la Wehrmacht ne se joignit à eux. Que Hitler ait vu le film des exécutions n’est pas certain. Les témoignages sont contradictoires.
La plupart des exécutions en rapport avec la tentative de coup d’État du 20 juillet 1944 eurent lieu dans les semaines suivantes. Certaines attendirent quelques mois. Quand le bain de sang se ralentit, le nombre des suppliciés se situait autour de deux cents. Ce fut le dernier triomphe de Hitler.
6 Ondes de choc
Après avoir cru que la Providence avait voulu qu’il survive et que la « traîtrise » des conjurés expliquait les infortunes militaires de l’Allemagne, l’euphorie initiale du Führer ne tarda pas à se dissiper. La réalité des revers, des crises et des désastres quotidiens était trop forte pour qu’on pût l’oublier complètement. Même pour Hitler. Il n’y eut guère de répit. Bientôt, il lui fallut de nouveau se concentrer sur les affaires militaires.
Le complot de Stauffenberg le marqua durablement. Il
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