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La chance du diable

La chance du diable

Titel: La chance du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Kershaw
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liste s’allongeait et que l’ampleur de la conspiration apparaissait clairement (surtout après la confession remarquablement complète d’un Gœrdeler soucieux de souligner, au regard de l’Histoire, la portée des efforts de l’opposition pour éliminer Hitler et son régime), la fureur et la rancœur de Hitler contre les conservateurs – en particulier, l’aristocratie foncière  – qui ne l’avaient jamais accepté sans réserve s’amplifièrent. « Nous avons extirpé la lutte des classes à gauche, mais nous avons malheureusement oublié d’en finir avec la lutte des classes à droite   », aurait-il observé. C’était cependant le plus mauvais moment possible pour encourager des divisions au sein du peuple   ; le règlement de comptes avec l’aristocratie attendrait que la guerre fût terminée.
    Toujours est-il que Himmler n’avait nul besoin d’encouragement pour exercer sa vengeance contre les familles des conjurés, pour beaucoup d’origine aristocratique. Une quinzaine de jours après l’attentat, il expliqua aux Gauleiter réunis à Posen qu’il agirait en accord avec les traditions de « vendetta   » de l’ancien droit germanique et éliminerait le « sang de la sédition   » dans tout le clan des traîtres. « La famille de Graf Stauffenberg, promit- il, sera exterminée jusqu’au dernier de ses membres.   » Les Gauleiter applaudirent. La femme de Claus von Stauffenberg, ses frères, leurs enfants, ses cousins, ses oncles, ses tantes, tous furent jetés en prison. Les familles des autres conjurés connurent le même sort. Seule la fin de la guerre déjoua les intentions de Himmler. Dans les derniers jours d’août, une action de police de grande envergure pour rafler les opposants du régime  – conséquence indirecte, plutôt qu’explicite, du complot du 20 juillet  – aboutit à l’arrestation, au total, de plus de cinq mille personnes. La férocité de l’offensive contre toutes les lueurs d’opposition possibles et imaginables à la suite de l’attentat raté fut certainement une preuve que le régime n’avait rien perdu de sa capacité d’exercer une répression implacable. Mais dans cette cruauté absolue, il y avait plus qu’un simple soupçon de désespoir trahissant un régime dont les jours étaient comptés.
    Le 7 août, les grands procès commencèrent devant le tribunal du peuple à Berlin. Chacun encadré de deux hommes de la Gestapo, les huit premiers  – dont Witzleben, Hœpner, Stieff et Yorck  – de ce qui allait devenir la procession régulière des accusés entrèrent dans la cour pavoisée de croix gammées en présence de quelque trois cents spectateurs choisis, dont les journalistes triés sur le volet par Gœbbels. Tous devaient subir le courroux féroce, le mépris cinglant et les humiliations implacables du président de la cour en robe rouge, le juge Roland Freisler. Assis sous un buste de Hitler, son visage reflétait dans ses simagrées des extrêmes de haine et de dérision. Il ne présida qu’une parodie de procès, dans lequel les condamnations à mort étaient décidées d’avance. Les accusés portaient des signes évidents des tortures subies en prison. Afin de les humilier, on leur avait fait passer des habits miteux, sans cols ni cravates, et on leur laissa les menottes jusque dans la cour. Witzleben fut même privé de bretelles ou de ceinture, ce qui l’obligea à retenir son pantalon d’une main. Freisler ne laissa pas aux accusés le temps de s’exprimer convenablement ni même d’expliquer leurs mobiles, s’empressant de leur couper la parole pour les agonir d’insultes, les traiter de fourbes, de traîtres, de lâches et de meurtriers. Un peu plus tard au mois d’août, par exemple, lorsque Graf Schwerin von Schwanenfeld fit mine d’expliquer combien il avait été ébranlé par les nombreux meurtres dont il avait été témoin en Pologne, Freisler ne voulut pas en entendre parler. « Des meurtres   ? hurla-t-il, vous êtes vraiment une vile canaille. Vous ne sombrez pas sous cette pourriture   ?   »
    L’ordre avait été donné  – probablement par Gœbbels, mais sans doute avec l’autorisation de Hitler  – que les débats fussent filmés dans l’idée d’en passer des extraits aux actualités, mais aussi de monter un « documentaire   » intitulé « Traîtres devant le tribunal du peuple   ». Freisler hurla si fort que les cameramen durent lui signaler qu’il gâchait

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