La chance du diable
des travailleurs étrangers, des déserteurs et autres – , quel que fût son courage, se trouva privée de toute chance de succès. Le régime avait été défié de l’intérieur. Mais le coup porté en plein cœur ne s’était pas révélé mortel. Il réagit maintenant avec toute la férocité dont il était capable. Momentanément, en tout cas, il put se regrouper et se consolider à nouveau, retarder sa fin de plusieurs mois tout en prolongeant les souffrances de millions de gensemportés dans le maelström de plus en plus intense de la mort et de la destruction. Hitler et les dirigeants nazis avaient survécu. Mais il n’y avait plus moyen de sortir de l’ornière l’autodestruction dans laquelle ils étaient engagés.
Pour les Allemands ordinaires non plus, il n’y avait pas d’issue. Il allait de soi que le régime était fini. Le seul espoir était que les Britanniques et les Américains tiendraient les bolcheviks à distance. Tandis qu’un nouvel hiver de guerre se profilait, les réactions les plus courantes étaient l’apathie, la résignation, le fatalisme. « Tout cela est du pareil au même pour moi. Je ne puis plus porter de jugement sur la situation. Je vais juste continuer à faire mon boulot, attendre et accepter ce qui arrivera » : cette façon de voir, dont faisaient état les antennes régionales du ministère de la Propagande à l’automne 1944, n’était pas l’apanage de « l’homme de la rue » ; on la trouvait aussi chez des membres du parti, voire chez des cadres, dont certains ne voulaient plus porter les insignes nazis. C’était un signe évident que la fin approchait.
DOCUMENTS
Tous les documents, à l’exception du n° 4, sont tirés de Germans Against Hitler, July 20, 1944, publié par le Bureau de presse et d’information du gouvernement fédéral d’Allemagne, 5 e édition, 1969. Les extraits donnés dans le document n° 4 viennent respectivement des Bundesarchiv / Militärarchiv, RH 12-21/8, et de Peter Hoffmann, « Oberst i. G. Henning von Tresckow und die Staatsstreichpläne im Jahr 1943 », Vierteljahrshefie flir Zeitgeschichte, Heft 2 (2007), p. 358.
1 Fabian von Schlabrendorff,
Récit de la tentative d’assassinat
du 13 mars 1943
Extrait des Mémoires de Schlabrendorff (1907- 1980), proche de Tresckow, qui eut un aperçu direct des projets pour tuer Hitler élaborés en 1943 au sein du groupe d’armées centre.
Le 1 er septembre 1939, quand Hitler, en tout arbitraire, lança la guerre contre la Pologne, trois préalables décisifs étaient désormais réunis pour entreprendre un coup d’État contre Hitler avec quelque chance de succès :
1. Des liens avaient été noués avec de nombreuses forces hors d’Allemagne, dans le cadre d’un projet qui rendait possible l’interaction de cercles luttant contre le national-socialisme à travers le monde.
2. Le mouvement de résistance d’inspiration chrétienne avait tissé des liens avec l’armée. Ainsi s’était-il mis en position de saisir l’unique instrument permettant de porter un coup mortel au nazisme.
3. Du fait du déclenchement des hostilités, l’armée, en tant qu’instrument d’action désigné, se trouvait libérée des servitudes imposées par les conditions de paix et pouvait agir [...].
Jusqu’en 1942, Tresckow n’était pas demeuré les bras croisés. D’un côté, il n’avait pas ménagé ses efforts pour sensibiliser son commandant en chef, le feld-maréchal von Kluge, à l’idée d’éliminer Hitler. Kluge, en tant que commandant en chef d’un groupe d’armées, devait – c’était le principe de base – se ranger dès le début dans le camp du coup d’État. Ce faisant, il eût exercé une pression considérable sur tous les commandants indécis sur le front aussi bien que dans l’armée de réserve. En même temps, il pourrait commencer par ramener le front est sur une position arrière plus courte et donc plus défendable, comme l’avait réclamé mainte et mainte fois l’état-major général, essuyant à chaque fois un refus de Hitler. Tous les autres groupes d’armées auraient dû nécessairement se joindre à cette entreprise. Tresckow s’efforça aussi de réunir les préalables pratiques de l’amorçage auquel il pensait. Ces préalables étaient les suivants : Hitler devait être amené à quitter son quartier général de Prusse-Orientale et à visiter l’état-major du groupe
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