La chance du diable
succédaient sans répit, et que la perte de ses biens, de ses maisons et des êtres chers répandait la misère dans la population, les premiers signes de désintégration étaient visibles. De plus en plus, le salut allemand, Heil Hitler, faisait place à un simple « bonjour » ou, dans le sud de l’Allemagne, à Grüss Gott. Début septembre, si l’on en croit un rapport à Himmler, l’évacuation de la région d’Aix-la-Chapelle – l’ancien siège de l’empire de Charlemagne, où les Alliés avaient effectué une percée – poussa la « population civile allemande à s’enfuir plus ou moins sous l’effet de la panique ». Un peu plus tard, ce même mois, des rapports de la Wehrmacht concernant le front est firent état d’une indiscipline croissante et de signes de désintégration parmi les troupes, avec un nombre de plus en plus grand de désertions, se traduisant par une forte hausse des châtiments draconiens infligés par les tribunaux militaires.
Certains déserteurs du front ouest trouvèrent refuge à Cologne. Cette grande ville du Rhin avait été largement détruite par les bombardements, bien que sa magnifique cathédrale gothique eût été miraculeusement épargnée, et une bonne partie de sa population avait été évacuée. Au milieu des décombres et des ruines, dans les caves des bâtiments incendiés, des formes d’opposition au régime nazi, proches de la guerre de partisans, commençaient à se manifester. Au cours de l’automne 1944, des groupes hétérogènes de déserteurs, de travailleurs étrangers – qui formaient à présent près de 20 % de la main-d’œuvre du Reich, au point que les autorités nazies redoutaient de plus en plus une insurrection – , de membres de bandes de jeunes en rupture de ban (connus sous le nom pittoresque de « pirates Edelweiss ») et de militants communistes clandestins (dont l’organisation avait été maintes fois infiltrée et détruite, mais avait toujours réussi à se reconstituer) fusionnèrent en un mouvement de résistance éphémère, mais inquiétant pour le régime. La Gestapo recensa deux douzaines de petits groupes de résistants pouvant rassembler jusqu’à une vingtaine de personnes et un grand groupe de quelque cent vingt individus. Ils volaient des vivres, faisaient irruption dans les camps et les dépôts de la Wehrmacht pour se procurer des armes et se livraient à de petits actes de sabotage. À l’occasion, il y avait des échanges de coups de feu avec les gardiens de camps et la police. Leurs actions avaient un sens politique : ils tuèrent, entre autres, plusieurs gestapistes, dont le chef de la Gestapo de Cologne, un SA et un cadre du parti nazi. Au total, la Gestapo leur attribua vingt-neuf assassinats.
Les attaques des « pirates Edelweiss » contre les Jeunesses hitlériennes et d’autres formations nazies allèrent en se multipliant. Grâce aux explosifs qu’ils purent se procurer, ils comptaient faire sauter le siège de la Gestapo et les tribunaux de la ville, mais aussi abattre un procureur en vue et plusieurs membres de l’organisation du parti. Si la progression des Alliés à l’ouest ne s’était pas ralentie, ce quasi-activisme des partisans de Cologne aurait pu se propager à d’autres villes du Rhin et de la Ruhr et il eût été beaucoup plus difficile de le combattre. Aidée d’unités de la Wehrmacht, la Gestapo put riposter à l’automne par une attaque dévastatrice. Les groupes de résistants ne cédèrent pas sans lutter. Un groupe batailla douze heures durant avant que la cave en ruine dans laquelle il s’était retranché fut soufflée. Un autre groupe se défendit avec des grenades à main et un fusil- mitrailleur, grâce à quoi il finit par enfoncer le cordon de police et par s’échapper. Lorsque la Gestapo en eut terminé, quelque deux cents résistants avaient été arrêtés. Les groupes eux-mêmes furent entièrement détruits, leurs chefs exécutés et beaucoup d’autres jetés en prison.
Si le complot de Stauffenberg avait abouti, l’activisme politique de base qui se développa à Cologne aurait pu s’amplifier en un véritable ferment révolutionnaire à partir de l’ouest de l’Allemagne. Mais si Hitler avait été assassiné le 20 juillet, on aurait pu imaginer quantité de scénarios parfaitement contradictoires. Dans les faits, le résultat fut que la résistance de la base – des communistes, des socialistes, des jeunes rebelles,
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