La chance du diable
d’armées central, qui à cette époque se trouvait dans un camp forestier à l’ouest de Smolensk. Tresckow voulait faire venir Hitler dans un cadre qui lui serait étranger, mais nous serait parfaitement connu afin de créer une atmosphère propice à l’amorçage. Qu’il fût lié de longue date au principal aide de camp de Hitler, le général Schmundt, était un atout pour Tresckow. Schmundt était un partisan convaincu de Hitler, mais il n’était pas assez malin pour deviner que la demande faite par Tresckow d’une visite de Hitler au QG de Kluge n’était qu’une feinte militaire en vue de déclencher un acte politique de toute autre conséquence. Ainsi fut-il annoncé que Hitler allait rendre visite au feld-maréchal von Kluge, à Smolensk, aux premiers jours de mars 1943.
Au départ, l’affaire en resta là. Hitler se conduisit comme souvent dans les situations de ce genre. Il annonça sa visite, puis l’annula peu avant la date fixée. Après quelques tergiversations, Hitler finit par arriver en avion à Smolensk le 13 mars 1943. Si Kluge avait été alors disposé à suivre son jugement, le tyran eût été éliminé dès mars. Avec son accord, l’élimination de Hitler n’eût pas été très difficile. Le groupe d’armées avait ainsi créé un régiment de cavalerie, dont le commandant, le baron von Bœselager, était des nôtres. Le corps des officiers était choisi de telle façon que Bœselager, qui associait prudence militaire et pugnacité, aurait pu agir. Mais, si Kluge comprenait la situation, la volonté lui manquait. En un mot, il hésita. Il objecta mainte et mainte fois que ni le monde ni le soldat allemand ne comprendrait pareille action à cette date. Il fallait attendre que les événements eux-mêmes suggèrent l’élimination de Hitler. Il n’était donc pas possible d’utiliser d’emblée l’appareil du groupe d’armées pour le complot prévu.
Aussi Tresckow décida-t-il de ne plus perdre de temps, mais de jouer le rôle lui-même. Nous espérions que, une fois l’assassinat accompli, Kluge ne refuserait plus, mais, devant le fait accompli, s’en remettrait à son jugement foncièrement juste. Afin de lui faciliter l’action, à lui comme à tout le commandement militaire, Tresckow mit au point le scénario suivant : au lieu d’abattre Hitler, il s’en débarrasserait en plaçant dans son avion une bombe qui exploserait en vol ; ainsi éviterait-il la réprobation d’un assassinat en laissant croire à un accident [...].
Nos essais achevés avec succès, nous engageâmes les préparatifs immédiats. Le plan de Tresckow en la matière était le suivant : pour être tout à fait sûrs de l’effet, nous prîmes non pas une, mais deux charges explosives, et fîmes un paquet en forme de deux bouteilles de cognac. Puis il nous fallut arranger le paquet de telle façon qu’il fût possible d’amorcer l’explosif à la main sans défaire l’emballage. Le 13 mars 1943, je me chargeai moi-même du paquet ainsi préparé et l’enfermai dans une caisse à laquelle j’étais seul à avoir accès. Pendant ce temps, Kluge et Tresckow se rendirent à l’aéroport de Smolensk pour y accueillir Hitler [...].
Au cours du repas, Tresckow parla avec l’un des compagnons de Hitler, lui demandant s’il voulait bien se charger au retour d’un petit paquet – deux bouteilles de cognac – destinées au général Stieff du haut commandement de l’armée de terre. Il accepta. En début de matinée, comme convenu, je téléphonai au collègue que m’avait désigné Oster, le capitaine Gehre à Berlin, et lui donnai le mot de passe préalablement convenu au sujet de l’amorçage imminent. De Gehre, il passa à Dohnanyi, puis à Oster. Leur mission était de boucler sans délai les préparatifs de la deuxième étape.
Après le déjeuner de Smolensk, Hitler regagna l’aéroport, accompagné de Kluge et de Tresckow. À peu près au même moment, je pris possession de la bombe et me rendis à l’aéroport. J’attendis que Hitler eût fait ses adieux aux officiers du groupe d’armées centre et fut sur le point d’embarquer. Sur ce, j’amorçai la charge et, sur un signe de Tresckow, tendis le colis au colonel Brandt. Il monta dans le même avion que Hitler. Peu après, l’avion de ce dernier et l’avion transportant une partie de sa suite décollèrent en direction de la Prusse-Orientale, accompagnés de plusieurs avions de chasse. Nous regagnâmes nos
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