La chapelle du Diable
traitement plus charitable de la part de
la méchante femme. À douze ans, celui-ci était un cas désespéré et passait son
temps à tirer les tresses de la fille Savard assise devant lui et pour qui il
avait le béguin. De temps en temps, Mademoiselle Potvin appelait le pauvre
Bérubé à son bureau et, sortant la grande règle de bois, en assenait plusieurs
coups mais sans plus. Elle frappait en silence, sans y mettre de passion, comme
si elle se devait de le faire, un point c’est tout. Elle avait même une
expression de lassitude. Comme s’il s’agissait d’une leçon de géographie. Alors
Bérubé grimaçait un peu, faisait semblant d’avoir bien mal et retournait à son
pupitre en faisant un clin d’œil aux autres élèves. Il avait la paix pour
plusieurs semaines. Avec les années, Bérubé avaitappris que le
meilleur moyen de s’en sortir était de simuler la douleur et de contenter ainsi
la maîtresse.
Quand c’était Pierre qu’elle plaçait à côté de son grand bureau de bois,
c’était avec un réel plaisir qu’elle le frappait. Pierre détestait cette
maîtresse. À la fin de cette interminable année scolaire, toutes les nuits du
mois de juin, Pierre rêva qu’il arrivait au dernier jour d’école et qu’on lui
apprenait que la femme était morte. Il se mettait à danser de joie. Mais au
réveil, il désenchantait et il recomptait désespérément le nombre de jours le
séparant des vacances d’été.
Marie-Alma Potvin, assise derrière son bureau de bois, scrutait les enfants en
train de faire un exercice d’arithmétique sur leur ardoise. Elle avait exigé le
silence et guettait le moindre signe de désobéissance. Est-ce que la journée
allait enfin se terminer ? C’était la fin de juin. Il ne manquait que la visite
de l’inspecteur d’école, prévue pour la semaine suivante et elle aurait deux
longs mois de paix. Marie-Alma détestait faire la classe. Son salaire était
ridicule, sa tâche beaucoup trop lourde et les enfants insupportables. L’école
était petite, on passait l’hiver à y geler. L’odeur des mitaines mouillées,
séchant près du poêle, lui levait le cœur. L’été, on étouffait de chaleur et la
sueur de tout le monde rendait l’air irrespirable. Sans parler de sa minable
chambre à l’étage où elle mourait de solitude. C’était le seul choix qui s’était
présenté à elle, à part devenir religieuse, quand son fiancé l’avait laissée
tomber. Un fiancé aux cheveux roux.
Grâce au ciel, les vacances arrivèrent et Pierre retrouva son bonheur. Il y eut
deux grands événements cet été-là. Le premier fut la naissance d’un nouveau
petit frère, une journée de juillet. Ils avaient étéréveillés
tôt le matin et leur père les avait entassés dans la charrette pour aller les
mener chez leur oncle Georges. Il n’était revenu les chercher que tard le soir,
l’air heureux, annonçant qu’un autre garçon qu’ils nommeraient Léo était arrivé.
Le lendemain, Pierre avait été autorisé à aller embrasser sa mère dans sa
chambre. Il avait été surpris de la voir couchée, son gros ventre des derniers
mois disparu et dans un petit berceau, un bébé endormi. C’était drôle, à
Montréal, il ne se souvenait pas comment Jean-Baptiste était né. Il ne
comprenait pas trop. Il avait bien vu sa mère, le ventre comme un rocher, se
tenir le bas des reins, se plaindre que ce bébé donnait des coups de pieds et
l’empêchait de digérer comme il faut. Il en avait donc déduit qu’il y avait
quelque chose dans le ventre de sa mère. Et ce quelque chose devait être un bébé
mais... ce bébé était entré par où ? Et pour sortir, il s’y était pris de quelle
façon ? Tout ce qui concernait les naissances tenait du plus grand secret. La
chambre de leurs parents leur était interdite, et juste le fait d’y être à ce
moment lui faisait un drôle d’effet. Il aurait aimé savoir, poser des questions
à sa mère, mais jamais il n’aurait osé. Au printemps, il avait entraîné Delphis
avec lui jusqu’à l’étable où il savait que son oncle était pour s’occuper des
veaux à naître. La porte du bâtiment était bien close sur ces mystères. Les
adultes leur avaient interdit d’approcher, cependant la curiosité de Pierre
était si grande. Les vaches avaient un gros ventre comme sa mère... Ils
s’étaient
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