La chapelle du Diable
saches c’que tu veux, bateau !
Il regarda le paysage en gardant le silence. Quelques minutes plustard, il jeta un coup d’œil au conducteur. Oubliant sa
promesse, il s’écria :
— Bateau, François-Xavier, c’est pas une créature, mon camion ! Tu peux
l’brasser un peu plus ! Le derrière du truck va nous dépasser si tu
continues !
— Tu recommences ! Tu veux que je rentre dans une clôture moé itou !
— C’est à peine si j’ai touché aux piquets !
— Ben oui, t’en as juste cassé deux !
— Y étaient pourris !
— Comme le conducteur !
Ti-Georges marmonna quelque chose de pas très catholique. François-Xavier
soupira. Il aurait préféré être passager. Il craignait tant de briser une pièce
du véhicule... Il savait très bien la somme astronomique que Ti-Georges avait dû
débourser pour ce camion. Rolande avait beau lui avoir procuré un bon montant
venant de son premier mari, son beau-frère n’était toujours bien pas John D.
Rockefeller ! Avec les frais que la maladie de Marguerite lui avait causés, les
problèmes juridiques, la ferme qu’il équipait à la fine pointe de la
technologie, François-Xavier se demandait s’il en resterait d’ici l’année
suivante. Enfin, Ti-Georges devait savoir ce qu’il faisait.
— J’t’avertis, c’est toé qui prends le volant pour revenir ! marmonna
François-Xavier.
— Certain que j’vas conduire ! Ça sera pas pire qu’avec toé comme conducteur.
Pis toé, tu monteras dans la boîte en arrière.
— Au moins, j’aurai pas à t’endurer.
— Mais tu vas avoir mal au derrière à soir !
François-Xavier reprit :
— Coin de fou ce Saguenay. Plein de côtes. Voir si ç’a de l’allure ! Sur le
bord du lac, au moins, on avait de belles grandes étendues.
— Vaut mieux des côtes que des plaines inondées par exemple.
— Oh Ti-Georges, des fois, j’me dis que je verrai jamais la fin
de c’t’histoire-là. Toé ça va ben, tes affaires. J’dis pas ça par jalousie, chus
ben content pour toé, Ti-Georges, tu le sais mais...
— Mais t’as pus de fromagerie...
— J’regarde les enfants que ma Julianna me donne pis j’me dis que j’ai rien à
leur laisser. Mon Pierre grandit tellement vite...
— Décourage-toé pas. Dans une couple d’années, tu vas être remis sur les
rails.
— P’t-être ben...
— Rolande itou, a va m’en donner un fils.
— Ta femme est en famille ?
Ti-Georges eut une drôle de mimique.
— J’trouvais que j’en avais déjà en masse mais la nature, que c’est tu veux
qu’on y fasse ! Surtout que ma Rolande, a donne le goût de l’honorer plus que de
raison...
— Ti-Georges ! s’indigna François-Xavier.
— Ah ben bateau ! Si entre gars on peut pus parler de nos émoustillages ! Tu te
rappelles-tu quand tu faisais les beaux yeux à la p’tite Boulianne, on avait
l’âge de ton Pierre, neuf ans je pense ?
— Ti-Georges, commence pas, j’ai une côte à descendre, moé, pis tu vas te
retrouver à nager dans la rivière si tu m’asticotes encore.
— J’arriverais au train avant toé !
— Vas-y donc à pied si t’es pas content !
— Maudite bonne idée !
Ce fut ainsi jusqu’à Jonquière.
Sur le bord du quai, la marraine de Julianna attendait, assise sur sa valise,
tandis que monsieur Morin faisait les cent pas en sortant sans cesse sa montre
de son gousset afin d’y scruter l’heure.
François-Xavier gara bruyamment le gros camion et souhaita labienvenue au couple. La froideur de monsieur Morin le surprit.
— On est ben en retard… On est désolés, s’excusa François-Xavier.
Léonie l’embrassa affectueusement.
— C’est pas grave, mon cher.
Ti-Georges serra sa tante contre son cœur.
— C’est la faute à ce branleux de François-Xavier. Si c’est moé qui avais
conduit mon camion, on aurait été là à l’heure des poules.
François-Xavier préféra ne pas répondre. À la place, il le présenta à monsieur
Morin, resté un peu à l’écart, manifestement mécontent d’avoir attendu.
— François-Xavier, monsieur Gagné, les salua-t-il en retour, d’un petit signe
de tête sec.
— Ah ben, c’est-tu là l’heureux élu ?
Monsieur Morin détailla Ti-Georges comme s’il était un va-nu-pieds. Léonie, mal
à l’aise, s’éventait avec sa main. Il faisait très chaud.
— J’ai l’infime honneur
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