La chapelle du Diable
narguaient… De ses mains, il entoura la taille de sa femme.
Elle avait pris un peu de poids avec les années et les grossesses successives
mais cela ne lui enlevait rien à sa beauté. Au contraire ! En ces années de
crise économique, il rencontrait tant de pauvres gens, aux traits tirés et
amaigris, des femmes qui se privaient de nourriture pour pouvoir en donner à
leurs enfants, des hommes qui se battaient pour un bout de pain que les joues
rebondies de sa Julianna étaient un soleil dans la grisaille de ces jours
difficiles. C’était ce qui le raccrochait à cette vie montréalaise qu’il
détestait. Sa femme et ses enfants mangeaient à leur faim et étaient à
l’abri.
Léonie ne leur avait pas seulement offert un toit. En lui donnant un travail à
son magasin, elle avait permis à François-Xavier de faire vivre sa famille et
ainsi de garder son honneur sauf. Même si La belle du lac n’était plus la
boutique d’avant le crash boursier de 1929, le magasin réussissait à
tirer son épingle du jeu. Les riches dames de Montréal s’y donnaient encore
rendez-vous et ne dédaignaient pas payer pour avoir la joie de porter un modèle
de robe parisienne. Monsieur Morin, le gérant du magasin, semblait être un homme
d’affaires doué et avisé. Depuis son veuvage, Léonie s’était complètement
désintéressée des affaires et c’est avec une complète confiance qu’elle laissait
l’homme gérer ses biens. Monsieur Morin avait du flair et il prouva qu’il avait
eu raison de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, comme il disait.
Il avait donc investi dans les corsets, le tissu, la mercerie et même
l’immobilier. Ce dernier investissement avait débuté avec la vente de l’immeuble
à côté du magasin. Il l’avait acheté pour une bouchée de pain, le propriétaire
ayant besoin rapidement de liquidités.
François-Xavier pensa à son patron. Travailler sous les ordres de monsieur
Morin n’était pas difficile. Le gérant était affable et ne lepressait jamais vraiment d’ouvrage. Au contraire, François-Xavier avait
l’impression qu’on aurait pu facilement se passer de ses services. D’ailleurs,
cet aspect le mettait souvent mal à l’aise. Cela et l’attitude un peu mesquine
de monsieur Morin. Celui-ci semblait compter de près ses sous. François-Xavier
avait surpris le gérant, une fois, en train de rudoyer une des petites mains,
comme on appelait les couturières de la boutique. La pauvre femme pleurait et se
cachait le visage sous la pluie d’insultes dont son patron l’affligeait à cause
d’un malencontreux coup de ciseau qui avait à peine gâché le jupon d’une
robe.
Devant le regard de son mari encore perdu au loin, Julianna abandonna toute
tentative de susciter l’admiration de la part de celui-ci et alla prendre des
mouchoirs de coton dans le tiroir de sa coiffeuse.
— Mon dieu que je suis énervée ! s’écria-t-elle en pressant fermement le tissu
sous ses aisselles pour éponger la sueur. J’en reviens pas encore ! Notre petit
Mathieu qui va jouer devant tout le beau monde de Montréal ! J’ai demandé à
Marie-Ange de le forcer à faire une sieste avant de l’habiller. On a été bénis
du Bon Dieu quand ma grande sœur est venue vivre avec nous !
En 1931, l’aînée des Gagné était arrivée à Montréal. Devenue veuve, ses enfants
habitant tous au loin, elle avait demandé l’hospitalité à sa tante Léonie, sa
chère tante qu’elle aimait tant et avec qui elle avait tenu une régulière
correspondance. Léonie s’était empressée de l’inviter, avec joie, à venir
résider avec elle. Julianna avait alors trois enfants en bas de cinq ans,
Pierre, Yvette, Mathieu, et était enceinte d’un quatrième. L’aide de Marie-Ange
était la bienvenue. Marie-Ange avait donc frappé à la porte quelques jours avant
que Julianna n’accouche de sa petite Laura, un bébé à la santé fragile. D’une
efficacité redoutable, Marie-Ange avait été d’un grand secours. Organisée,
structurée, Marie-Ange avait pris la maison en main. Léonie avait eu à nouveau
l’impression de respirer un peu malgré la turbulence de Pierre, Yvette et
Mathieu. Ce que Marie-Ange avait apporté de plus précieux était sa joie de
vivre, qu’elleavait communiquée à toute la maisonnée, surtout à
Léonie.
Marie-Ange était tout un phénomène. Elle
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