La chevauchée vers l'empire
dernière barrière pour
la famille du shah en fuite. Djalal al-Din savait qu’il ne pourrait pas
chevaucher longtemps sur ses côtes avec les Mongols lancés à leur recherche. Ses
frères et lui se feraient prendre comme des lièvres débusqués. Il éprouvait, telle
une faim dévorante, une envie désespérée de retourner dans l’Est, vers les
vastes cités qu’il avait connues enfant.
Entendre la respiration tourmentée de son père dans le
silence de la nuit le poignait. Avec l’aide de ses frères, il avait attaché le
vieil homme sur sa selle et mené son cheval par la bride hors de la ville en
évitant la route de l’Est.
Si les Mongols avaient été sûrs que le shah se trouvait dans
Khuday, ils auraient cerné la ville. En l’occurrence, ses fils avaient quitté
la ville au pas et n’avaient pas croisé âme qui vive. Ils n’étaient cependant
pas encore tirés d’affaire car s’ils ne pouvaient pas descendre vers le sud la
mer les piégerait aussi sûrement qu’un filet. Un instant, Djalal al-Din se
sentit fléchir. Il était trop fatigué pour fuir encore, trop fatigué même pour
monter à cheval.
Le bruit de ses sanglots étouffés attira l’attention de son
frère Tamar, qui lui posa une main sur l’épaule.
— Il faut partir, Djalal al-Din. Tant que nous sommes
en vie, il reste un espoir.
Le fils aîné du shah hocha la tête malgré lui, se frotta les
yeux. Il se mit en selle et prit les rênes du cheval de son père. Comme ils s’éloignaient
dans l’obscurité, il entendit Tamar pousser un cri de stupeur et se retourna
pour regarder Khuday.
La petite ville était baignée d’une étrange lumière qui
tremblait au-dessus du dédale des rues et dont il ne saisit pas tout de suite
le sens. Puis les lueurs s’étendirent et il comprit que les Mongols
incendiaient Khuday.
— Ils se gorgeront de cette bourgade jusqu’à l’aube, dit
un autre de ses frères.
Croyant déceler une note triomphale dans sa voix, Djalal al-Din
eut envie de châtier sa bêtise d’une gifle. Il se demanda si Abbud et son jeune
serviteur survivraient à l’incendie que la présence du shah avait causé, comme
si ses fils et lui ne laissaient que ruines et désolation dans leur sillage.
Il n’y avait rien d’autre à faire que prendre la direction
de la mer. Même s’il sentait les ailes de la mort battre au-dessus de lui, Djalal
al-Din éperonna sa monture et mit son cheval au trot pour descendre la pente
qui s’étirait devant lui.
Les quatre frères menèrent le cheval de leur père pendant
encore quatre jours avant de repérer des cavaliers derrière eux. Il était
impossible de ne pas laisser de traces sur ce sol poussiéreux et Djalal al-Din
avait su que les Mongols parviendraient à suivre leur piste, alors même qu’il s’accrochait
à l’espoir de les semer. Au bord de l’épuisement, il avait chevauché nuit et
jour jusqu’à ce qu’il sente l’odeur de sel de la Caspienne et qu’il entende le
piaillement des mouettes. Un moment, l’air vif les avait tous revigorés puis il
avait aperçu des formes sombres au loin, la masse des guerriers qui les
poursuivaient.
Djalal al-Din regarda le visage cireux du shah. Comme ils n’avaient
pas pris le risque de s’arrêter et d’allumer un feu pour préparer sa décoction
d’herbes amères, l’état du vieil homme avait empiré. Plus d’une fois, Djalal al-Din
avait pressé son oreille contre les lèvres de son père pour savoir s’il
respirait encore. Sa maladie les ralentissait mais il ne pouvait l’abandonner
aux chiens courants de Gengis qui le déchiquetteraient.
Un instant, le jeune homme eut envie de hurler sa haine et
sa terreur en direction des lignes lointaines de ses poursuivants. Il en avait
à peine la force et il secoua la tête avec lassitude, leva les yeux au moment
où ses frères et lui franchissaient une dune et découvrit devant lui l’immensité
bleue et scintillante de la mer. Le soir tombait, ils auraient une nuit encore
devant eux, avant que les Mongols les trouvent et les massacrent. Inspectant la
côte, Djalal al-Din ne vit que quelques cabanes et des bateaux de pêche. Il n’y
avait nulle part où se cacher et ils ne pouvaient aller plus loin.
Perclus de douleurs, il descendit de son cheval, qui trembla
quand il ne sentit plus le poids de son cavalier. Djalal al-Din tapota l’encolure
de l’animal aux côtes saillantes pour le remercier de sa fidélité. Le fils du shah
ne se rappelait plus la
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