La chevauchée vers l'empire
n’était pas loin de couper totalement les
routes commerciales du shah. Sans négoce et sans messages, chaque ville se
retrouvait isolée des autres et ne pouvait qu’attendre l’assaut de ses
guerriers. Mais tant que le shah était en vie, cela ne suffisait pas à apaiser
la colère de Gengis.
Au loin montait la fumée blanche de la dernière caravane qui
avait tenté de rejoindre Samarkand avant qu’il pénètre dans la région. Aucune
autre ne viendrait avant que les Mongols soient repartis. Une fois de plus, Gengis
réfléchit à la suggestion de Temüge d’établir sur les villes conquises un
pouvoir permanent. L’idée l’intriguait mais demeurait confuse. Il n’était plus
jeune, cependant, et quand son dos lui faisait mal, le matin, il songeait au
monde qui continuerait à tourner sans lui. Son peuple ne s’était jamais soucié
de permanence. Quand un Mongol mourait, il laissait derrière lui les tracas du
monde. Maintenant qu’il avait vu des empires, il en imaginait un qui durerait
plus que lui. Il pensait avec plaisir à des hommes qui gouverneraient en son
nom longtemps après sa mort. L’idée faisait croître en lui un sentiment dont il
avait à peine conscience.
Sous le regard du khan, les tumans de Djötchi et de Djaghataï
revinrent après avoir passé la matinée à chevaucher assez près des murs de la
ville pour terroriser ses habitants. Dès que le siège avait été en place, ils
avaient dressé une tente blanche devant Samarkand, mais les portes étaient
restées fermées. Ils la remplaceraient en temps opportun par une tente rouge, puis
par la tente noire promettant la mort à tous ceux qui se trouvaient dans l’enceinte
de la ville.
Avec la fuite du shah, les Khwarezmiens n’avaient personne
pour organiser leur défense et chacune de ses cités combattait seule. Cette
situation convenait à merveille au khan. Il pouvait lancer deux ou trois tumans
seulement sur une place forte, briser sa résistance et passer à la suivante en
ne laissant que des ruines derrière lui. C’était la façon de faire la guerre qu’il
préférait. Les interprètes khwarezmiens assuraient que plus d’un demi-million
de gens vivaient à Samarkand, peut-être davantage, maintenant que la campagne
environnante était déserte. Ils pensaient que Gengis serait impressionné, mais
il avait vu Yenking et ne se s’était pas laissé troubler par ce chiffre.
Ses hommes et lui parcouraient impunément la plaine et ceux
qui vivaient derrière de la pierre ne pouvaient qu’attendre dans la peur. Il
imaginait mal qu’on puisse préférer ce genre de vie à la possibilité de bouger
sans cesse et de frapper où bon vous semblait, mais le monde changeait et
Gengis se confrontait chaque jour à de nouvelles idées. Ses guerriers avaient
chevauché jusqu’aux déserts glacés au nord, jusqu’au Koryo à l’est. Il estimait
ces terres conquises. Mais elles étaient lointaines. Elles rebâtiraient leur
puissance et oublieraient qu’elles lui devaient tribut et obéissance.
Il plissa les lèvres en songeant aux habitants de villes
édifiant de nouvelles murailles après avoir enterré leurs morts. Cela ne
plaisait pas au khan des Mongols. Quand il assommait un homme, cet homme
restait à terre, mais une cité pouvait se relever.
Il pensa ensuite à Otrar, au désert qu’il avait laissé
derrière lui. Jamais une ville ne s’élèverait de nouveau à cet endroit, même
dans cent ans. Pour tuer une ville, il fallait peut-être enfoncer profondément
le poignard et le tourner dans la plaie jusqu’à ce qu’elle exhale son dernier
souffle. Cette idée aussi lui plaisait.
Tandis qu’il chevauchait lentement autour de Samarkand, il
fut tiré de ses réflexions par les notes aiguës d’un cor. Il ralentit sa
monture, pencha la tête sur le côté pour écouter. Djötchi et Djaghataï avaient
entendu eux aussi le signal et s’étaient arrêtés entre Gengis et la ville.
Au loin, des éclaireurs galopaient vers le khan. C’étaient
eux qui avaient donné l’alarme, il en était presque certain. Y avait-il un
ennemi en vue ?
Pendant que sa monture arrêtée tendait le cou pour arracher
une touffe d’herbe sèche, Gengis vit les portes de Samarkand s’ouvrir et une
colonne de cavaliers en sortir. L’excès de confiance de ses ennemis le fit
sourire. Il disposait du tuman de Djebe et de dix mille de ses propres vétérans.
Avec ces guerriers et ceux de Djötchi et Djaghataï, il écraserait toute
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