La chevauchée vers l'empire
La fumée était plus
épaisse quoique apparemment limitée à quelques maisons proches. Quelqu’un avait
sans doute renversé une lampe ou un poêle en s’enfuyant. Les flammes
rugissaient, rendant la journée plus chaude encore. Soudain conscients de l’arrivée
de Gengis, les guerriers mongols allaient et venaient autour du mur comme des
fourmis furieuses.
Il arrêta son cheval pour regarder ses hommes attaquer la
résidence du shah Mohammed. Au-delà du mur se profilait une colline couverte de
jardins fleuris et dont un vaste palais occupait la crête. Les murs d’enceinte
qui descendaient jusqu’à la rue même n’étaient brisés dans leur uniformité que
par des grilles en fer. Gengis inspecta du regard les maisons qui lui faisaient
face. Plongées dans une ombre épaisse, elles semblaient plus propres que ce à
quoi il s’attendait. Les habitants de Samarkand avaient peut-être des cloaques
sous leurs demeures ou un système pour évacuer les excréments. Faire vivre tant
de gens dans un même endroit posait des problèmes et Gengis commençait à
apprécier l’intelligence subtile de Samarkand.
Il n’y avait pas de place pour ses catapultes, même si ses
hommes s’échinaient à les faire rouler dans la ville. Les murs ne dépassaient
pas dix pieds de haut mais le commandant de la garnison avait néanmoins choisi
un bon endroit pour se battre jusqu’à la mort.
Gengis vit ses meilleurs archers reculer pour expédier des
flèches sur tout visage qui apparaîtrait au-dessus du mur. Y avait-il une
plate-forme de l’autre côté ? À coup sûr. Des hommes en armure se
baissaient derrière le parapet pour éviter les traits qui passaient en sifflant
au-dessus de leurs têtes. Kökötchu, le chamane du khan, exhortait les guerriers
à redoubler d’efforts. Vêtu d’un simple pagne ceignant ses reins, il avait le
corps peint de lignes bleu foncé qui donnaient l’illusion que sa peau ondulait
quand il bougeait.
Exaltés par la présence du chamane et du khan, les guerriers
utilisaient de longs poteaux terminés par un crochet pour tirer sur le bord du
mur et le faire s’écrouler. Ils en avaient déjà abattu une partie et une large
fissure apparut soudain dans la maçonnerie. Gengis avait songé à faire amener
quand même les catapultes après avoir rasé les maisons les plus proches pour
leur faire de la place. En voyant la fissure, il changea d’avis : ce ne
serait plus long.
Kökötchu avait repéré le khan, bien sûr, et Gengis sentait
que le chamane l’observait du coin de l’œil. Il se rappela leur première
rencontre, lorsque Kökötchu avait conduit le khan des Naïmans en haut d’une
colline, loin des combats. Gengis ne lui avait alors donné qu’un an à vivre, mais
de nombreuses années s’étaient écoulées depuis et l’homme avait accru son
influence, il s’était intégré à la poignée de fidèles qui aidaient le khan à
gouverner. Gengis avait favorisé l’ambition du chamane. Cela lui convenait que
ses guerriers nourrissent pour les esprits une crainte respectueuse, et qui
pouvait vraiment leur dire si le père ciel avait béni leur khan ? Les
victoires étaient venues, Kökötchu avait joué son rôle.
Gengis plissa le front quand ses pensées dérivèrent vers un
autre souvenir. Quelque chose lui harcelait l’esprit sans qu’il parvienne à
savoir quoi. D’un geste brusque, il appela l’un de ses messagers toujours prêts
à recevoir ses ordres.
— Retourne au camp. Trouve ma femme Chakahai et
demande-lui pourquoi elle ne peut pas voir Kökötchu sans penser à ma sœur. Tu
as compris ?
Le jeune guerrier s’inclina. Il ne savait pas pourquoi le
khan semblait si préoccupé le jour où il venait de prendre une nouvelle ville, mais
son devoir était d’obéir et il le fit sans poser de question. Il partit au
galop et ne se retourna même pas quand le mur s’effondra, écrasant deux Mongols
qui n’avaient pas reculé à temps. Sous le regard froid de Gengis, Kökötchu
sautilla comme une araignée peinte et les guerriers s’engouffrèrent dans la
brèche en rugissant.
Djaghataï vit son frère se diriger vers lui. La plupart de
ses hommes parcouraient le champ de bataille pour piller les morts ou expédier
dans l’autre monde ceux qui remuaient encore. Il avait cependant gardé près de
lui un groupe d’officiers et de guerriers à qui il n’eut pas à donner d’ordres.
Sachant pourquoi Djötchi approchait, ils opérèrent un
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