La chevauchée vers l'empire
dessinait sur le sommet de la colline. En chemin,
Chakahai ruminait la question de Gengis et se demandait ce qu’elle signifiait. Elle
ne comprenait pas et ne parvenait pas à chasser de son esprit une certaine
appréhension. Kökötchu ne serait sans doute pas là quand elle parlerait à son
mari. S’il l’était, elle solliciterait de voir Gengis en privé. La pensée des
yeux perçants du chamane braqués sur elle accroissait sa nervosité. Elle se
demanda si elle était de nouveau enceinte ou si ce n’était que l’effet de tant
de souffrance et de colère autour d’elle depuis si longtemps.
Son ami Yao Shu n’était pas une autorité en médecine mais il
connaissait les principes du rééquilibrage. Chakahai décida d’aller le voir dès
son retour au camp. Les Mongols ne cherchaient pas la paix intérieure et elle
estimait qu’il était dangereux de se livrer à la violence pendant de longues
périodes. Il fallait compenser par du calme et du repos, mais ils ignoraient
tout des enseignements du Bouddha.
Chakahai mit pied à terre quand l’escalier déboucha sur une
cour fermée. Son escorte la confia à d’autres gardes qui l’attendaient et elle les
suivit le long de couloirs sombres en s’étonnant que personne n’ait songé à
allumer les lampes qu’elle voyait. Le peuple de son mari était vraiment étrange.
Dehors la lune se leva, projetant une lumière grise par les hautes fenêtres
cintrées et, par moments, elle avait l’impression d’être un fantôme accompagné
par des morts. L’odeur de cadavre persistait et Chakahai s’efforça de rester
calme.
Elle découvrit Gengis assis sur un trône dans une salle
semblable à un caveau. Bien qu’elle portât des pantoufles souples, le bruit de
ses pas se répercutait de tous côtés. Les gardes demeurèrent aux portes et
Chakahai s’approcha du khan en cherchant nerveusement des yeux un signe de la
présence du chamane.
Gengis était seul dans la salle du trône et contemplait la ville
que lui révélait une large arcade. Chakahai suivit son regard et garda le
silence. Son père avait régné lui aussi dans un tel palais et la vue offerte
fit naître en elle un surprenant pincement de nostalgie. Bientôt son époux
repartirait et elle retournerait à sa vie dans une yourte, mais l’espace d’un
instant, dans cette salle, elle se rappela la paix et la splendeur d’un grand
palais et oublia les morts qui jonchaient le sol alentour.
— Je suis là, seigneur, dit-elle enfin.
Tiré de sa rêverie, Gengis se tourna vers elle.
— As-tu vu ? lui demanda-t-il, montrant la cité au
clair de lune. C’est beau.
Elle sourit.
— Cela me rappelle un peu le Xixia et la capitale de
mon père.
Gengis hocha la tête mais elle se rendit compte qu’il était
troublé.
— Tu as envoyé un homme me poser une question, ajouta-t-elle
pour le faire réagir.
Il soupira, abandonna pour le moment ses réflexions sur l’avenir.
La journée avait bien commencé mais s’était terminée par l’affrontement de Djötchi
et de Djaghataï devant leurs hommes, ouvrant dans l’armée mongole des plaies
que même le khan aurait du mal à refermer. Il tourna des yeux las vers sa
deuxième épouse.
— Oui. Nous sommes seuls ici.
Chakahai coula un regard aux gardes demeurés à l’entrée de
la salle mais, apparemment indifférent à leur présence, Gengis poursuivit :
— Dis-moi pourquoi tu ne peux pas regarder Kökötchu
sans penser à ma sœur.
Elle s’approcha, posa ses mains fraîches sur le front de
Gengis quand il ouvrit les bras pour l’enlacer. Il gémit doucement, la laissa l’apaiser.
— C’est lui qui l’a trouvée après l’attaque du camp. Quand
je le vois, je repense au moment où il est sorti de la yourte de Temülen. Il
avait le visage ravagé de chagrin et cela me hante encore.
Gengis se figea en l’écoutant et elle le sentit s’éloigner d’elle.
Il lui prit les mains, les écarta doucement.
— Ce n’est pas lui qui l’a trouvée. Un de mes hommes m’a
apporté la nouvelle après avoir inspecté les yourtes. Tu dis que tu as vu Kökötchu
sortir de celle de Temülen ?
Chakahai acquiesça de la tête, la gorge nouée. Elle fit un
effort pour avaler sa salive et répondit :
— C’était à la fin de l’attaque. Je m’enfuyais et je l’ai
vu sortir de la tente de ta sœur. Quand j’ai appris qu’elle avait été tuée, j’ai
pensé que Kökötchu t’avait porté la nouvelle…
— Non. Il
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