La chevauchée vers l'empire
l’immobilité de son frère, mais
il fut aussitôt aspiré de nouveau dans le combat.
Ses propres officiers se tournaient vers lui pour l’inciter
à ordonner la retraite, mais la rage de Djötchi ne faiblissait pas. Il avait mal
au bras, le sabre de son père avait émoussé son tranchant sur des armures
ennemies, et cependant il continuait à frapper, et chaque Khwarezmien qu’il
tuait était son frère ou Gengis lui-même.
Ses hommes virent qu’il ne regardait plus vers le tuman de
Djaghataï. Il se battait en montrant les dents, faisait tournoyer son sabre
sans fatigue apparente et sauter son cheval par-dessus les cadavres. Son
absence totale de peur revigora ses guerriers, qui poussèrent des cris sauvages.
Ceux qui étaient touchés ignoraient leurs blessures ou ne les sentaient même
pas. Eux aussi se laissèrent porter par leur colère. Ils avaient offert leur
vie à Djötchi, ils avaient décimé une armée. Rien ne leur était impossible.
Ses soldats jin se battaient avec frénésie et s’enfonçaient
profondément dans la colonne ennemie. Lorsque les cavaliers du Khwarezm les
empalaient de leurs lances, ils saisissaient l’arme fichée en eux, tiraient
pour faire tomber l’ennemi et le criblaient de coups de couteau avant de mourir.
Ils ne fuyaient pas davantage les sabres ou les flèches alors que les rangs de
leurs camarades les entouraient. Ils ne le pouvaient pas.
Sous la pression obstinée de déments qui empoignaient de
leurs mains sanglantes l’arme qui les tuait, les Khwarezmiens se débandèrent et
la panique gagna même ceux qui n’avaient pas encore participé au combat. Djötchi
vit un de ses officiers jin manier une lance brisée comme un gourdin et marcher
sur des mourants pour défoncer le crâne d’un ennemi monté sur un superbe étalon.
L’homme tomba, le Jin poussa un rugissement de triomphe et lança un défi dans
sa langue à des hommes qui ne pouvaient pas le comprendre. Les Mongols rirent d’entendre
son ton bravache et continuèrent à se battre alors même que leurs bras
devenaient de plomb et que leurs forces s’écoulaient par leurs blessures.
Les ennemis étaient de plus en plus nombreux à fuir. À l’instant
précis où Djötchi, aveuglé par une giclée de sang, commençait à céder à la
panique, les cors du tuman de Djaghataï résonnèrent enfin de l’autre côté de la
cuvette, suivis par un grondement de sabots.
Les guerriers de Djaghataï frappèrent un ennemi qui
cherchait déjà à échapper à ceux qui l’assaillaient. Djötchi, pantelant, vit un
espace s’élargir autour de lui et une nouvelle volée de flèches transpercer les
fuyards. Il aperçut brièvement son frère chevauchant comme un roi avant de
parvenir au pied de la colline et de disparaître. Djötchi cracha un jet de
phlegme. Tout son corps meurtri brûlait du désir d’abattre son sabre sur le cou
de Djaghataï. Ses hommes comprenaient ce qui s’était passé et il aurait du mal
à les empêcher de chercher querelle à ceux qui les avaient tranquillement
regardés se battre. Djötchi imaginait déjà les excuses que son frère
invoquerait pour son retard, roulant dans sa bouche des mots pareils à une
graisse sucrée.
Le fils aîné du khan n’avait plus d’ennemis à sa portée
quand il tâta du pouce le tranchant de sa lame et sentit les ébréchures dans l’acier.
Il était entouré de morts, pour une bonne part des hommes qui avaient traversé
les collines et anéanti la cavalerie du shah. Les survivants tournaient vers
lui des yeux encore flamboyants de colère. Djaghataï finissait d’éventrer ce
qui restait de la colonne ennemie, ses chevaux enfonçant les bannières du
Khwarezm dans le sol gorgé de sang.
S’il traitait son frère comme il le méritait, les deux
tumans se battraient entre eux jusqu’à la mort, Djötchi en avait conscience. Les
officiers de Djaghataï ne le laisseraient jamais approcher avec une arme alors
qu’ils connaissaient les raisons de sa colère. Leur honte ne les empêcherait
pas de dégainer leur sabre et ses propres guerriers riposteraient. Il luttait
contre un désir puissant de traverser le champ de bataille au galop et de
tailler son frère en pièces.
Il ne pouvait pas réclamer justice à leur père. Il l’entendait
déjà traiter ses plaintes par le mépris, les rejeter parce qu’elles tenaient de
la critique jalouse d’une tactique et ne pouvaient étayer une accusation de
meurtre. Djötchi tremblait de frustration
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