La chevauchée vers l'empire
de fumée blanche. Le
camp s’animait déjà. Les Mongols aimaient cette partie de l’été, avant que la
chaleur devienne trop forte. Le fleuve et les lacs situés au nord donnaient
assez d’humidité à l’air pour couvrir l’herbe de rosée et le soleil la faisait
étinceler brièvement avant de l’aspirer.
Ceux qui étaient déjà levés regardèrent passer le khan et
ses frères avec crainte et respect. Des chiens aboyèrent mais Gengis les ignora
en dirigeant son cheval au pas dans le labyrinthe de tentes. Il passa devant sa
propre yourte montée sur son chariot, s’arrêta enfin devant celle de sa mère.
— Nokhoi Khor ! lança-t-il, autant pour
saluer sa mère que pour lui demander de retenir son vieux chien avant qu’il se
précipite dehors et attaque.
Gengis n’avait jamais aimé les chiens et il n’en avait pas. Il
attendit un moment, se tourna vers ceux qui l’accompagnaient. Ensemble, ils
représentaient le pouvoir gouvernant le peuple mongol. Seul Ögödei avait un
rang égal au leur, et uniquement depuis cette nuit.
— Restez ici, dit Gengis.
Il se baissa, écarta le rabat de feutre pour pénétrer dans
le foyer de sa mère. Il faisait sombre à l’intérieur mais le jour s’insinuant
dans la tente lui permit de discerner une forme recroquevillée sur le lit. Le
vieux chien lové contre les jambes de sa mère montra les dents et gronda quand
Gengis s’approcha.
— Fais sortir cette bête, dit le khan avec nervosité. J’ai
besoin de te parler.
Hoelun ouvrit des yeux troubles, injectés de sang à cause de
l’arkhi qu’elle buvait pour dormir sans rêves. Elle les referma presque
aussitôt en grimaçant de douleur. Gengis sentit une odeur d’urine, des relents
de corps sale. Il vit avec peine qu’elle ne peignait plus ses cheveux gris et
il se reprocha de ne pas l’avoir arrachée à son chagrin longtemps avant. Pendant
qu’il refoulait sa tristesse en se donnant entièrement à l’assaut de la ville, remplissant
ses journées de plans et d’actes, Hoelun était restée seule avec son chagrin, qui
l’avait lentement minée.
Gengis soupira, passa la tête dehors, cligna des yeux dans
le soleil.
— Kachium, viens prendre son chien. Il me faut aussi du
thé, de la nourriture et du bois pour le poêle. Tu t’en occupes, Khasar ?
Il s’écarta pour laisser Kachium approcher de l’animal. Quand
le frère du khan tendit le bras vers lui, le chien se dressa en claquant des
mâchoires. Kachium le frappa négligemment sur le museau, le fit tomber du lit
et lui donna un coup de pied qui le fit détaler en aboyant.
— Laisse cette bête tranquille, grogna Hoelun.
Elle s’assit et, se rendant compte de la présence dans sa
yourte de deux de ses fils, passa machinalement une main dans ses cheveux. Gengis
remarqua qu’elle avait maigri de façon alarmante en quelques mois. Il se sentit
coupable de ne pas avoir veillé à ce que quelqu’un s’occupe d’elle. Chakahai et
Börte lui avaient sans doute apporté à manger.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Hoelun, la
douleur palpitant dans sa tête.
Renonçant à mettre de l’ordre dans sa chevelure, elle laissa
sa main aux ongles noirs retomber sur la couverture.
La question était adressée à Kachium, qui se contenta de hausser
les épaules et de regarder Gengis.
— Bois du thé salé, ensuite nous parlerons, dit le khan
d’un ton autoritaire.
Il entendit le ventre de sa mère gronder et ne fut pas
surpris quand elle rejeta la couverture crasseuse pour se lever. En silence, elle
chaussa des bottes souples et sortit de la yourte pour aller aux latrines les
plus proches.
Kachium tourna vers son frère un regard honteux.
— C’est pour ça que tu nous as fait venir ? Je ne
savais pas qu’elle allait aussi mal…
— Moi non plus, répliqua Gengis. N’ai-je pas dû m’occuper
d’un millier de choses depuis que Temülen est morte ?
Conscient de la faiblesse de son argument, il détourna les
yeux et murmura :
— Nous allons réparer. Maintenant.
Khasar revint, aussitôt suivi de Hoelun. Lui aussi était atterré
par le corps squelettique qui reprit sa place sur le lit. Il serra Hoelun dans
ses bras en souriant mais son visage s’assombrit aussitôt quand il mit du bois
dans le poêle, alluma de l’amadou avec un silex et souffla jusqu’à ce qu’une
petite flamme s’élève dans sa main.
L’eau sembla mettre un temps infini à bouillir et ce fut
Gengis lui-même qui versa la
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