La chevauchée vers l'empire
près de Khasar, celui-ci lui expédia sans réfléchir son pied
dans les côtes.
Gengis laissa retomber son bras armé et tous posèrent sur
lui un regard interrogateur.
— Tu ne peux pas l’épargner, Temüdjin, plaida Hoelun, les
yeux brillants.
Elle avait recouvré une partie de sa vitalité et ne semblait
plus sentir le vent. Gengis lui remit son sabre et lui retint le poignet quand
il crut qu’elle allait frapper.
Il remua un moment les doigts de ses mains vides et Kökötchu
se prosterna devant lui, pris entre les jambes de la famille qu’il avait servie.
Il cherchait fébrilement dans son esprit des mots convaincants. Le visage de
cet imbécile de Temüge reflétait le doute et le khan lui-même n’avait plus le
sabre à la main. Il y avait encore de l’espoir.
— Je n’ai rien fait, seigneur. Celui qui m’accuse
commet une erreur qui ne doit pas me coûter la vie et m’empêcher de continuer à
te servir. Si je meurs ici, la malchance te poursuivra jusqu’à la fin de tes
jours. Tu sais que je dis la vérité.
Gengis tendit un bras, saisit le chamane par l’épaule. Un
instant, Kökötchu crut que le khan allait le relever et il eut un hoquet de
soulagement. Puis il sentit l’autre main de Gengis se refermer sur une jambe
osseuse, ses doigts s’enfoncer dans sa chair. Il se débattit violemment lorsque
Gengis le souleva avec un grognement.
— Je t’en supplie, seigneur !
Gengis le leva plus haut encore et le lâcha, tombant sur un
genou au même moment. Le dos du chamane heurta la cuisse tendue et tous
entendirent la colonne vertébrale craquer. Les lèvres de Kökötchu remuèrent en
silence. Ses jambes pendaient, inertes, ses mains s’agitaient dans la neige. Pris
d’un haut-le-cœur, Temüge détourna les yeux, mais Khasar et Kachium regardaient
la scène fixement, comme pour en graver chaque détail dans leur mémoire.
Gengis s’agenouilla près du chamane et lui dit à voix basse :
— Il y a des loups dans cette montagne. Plusieurs de
mes guerriers sont venus les chasser pour leurs peaux. Ces bêtes te trouveront
cette nuit et, d’abord, elles ne feront que t’observer. Lorsque le froid t’aura
affaibli, elles se rapprocheront, viendront flairer tes jambes et tes mains. Elles
se disperseront quand tu crieras ou agiteras les bras, mais elles n’iront pas
loin et elles reviendront, enhardies. Quand elles commenceront à déchiqueter ta
chair, quand l’odeur du sang les excitera, pense à moi.
Lorsque le khan se redressa, les yeux terrifiés de Kökötchu
le suivirent. Sa bouche béante révélait des dents brunes. Il vit Hoelun passer
un bras autour des épaules de Gengis tandis que tous retournaient près des
chevaux. Il ne put entendre les mots qu’ils échangeaient. Jamais il n’avait
éprouvé une telle souffrance et tous ses charmes, tous ses tours étaient
impuissants contre la flamme qui le consumait.
La nuit tomba rapidement et il gémit en constatant qu’il ne
pouvait plus se servir de ses jambes. Une fois, il réussit presque à se mettre
en position assise, mais une nouvelle vague de douleur le fit s’évanouir. Quand
il reprit connaissance, la lune s’était levée et il entendit un faible
crissement de pattes sur la neige.
27
À la fin de l’été, Gengis était toujours à Samarkand mais
ses généraux écumaient la région en son nom. Les villes de Merv, Nichapur, Balkh
et Ourguentch tombèrent rapidement, l’une après l’autre, et leurs habitants
furent massacrés ou réduits en esclavage. Même la nouvelle de la mort du shah
et le retour de Süböteï et Djebe n’égayèrent pas son humeur. Il avait envie de
retrouver la steppe de son enfance mais voyait une faiblesse dans cette
nostalgie. Son devoir consistait maintenant à apprendre à Ögödei à gouverner, à
lui transmettre tout ce que lui-même avait appris comme khan pendant ces
dizaines d’années de guerre. Il s’était vengé mille fois des insultes du shah
Mohammed et avait en même temps découvert d’immenses terres nouvelles.
Il se sentait comme un loup lâché dans une bergerie et ne se
décidait tout simplement pas à ramener les Mongols chez eux. Ögödei serait khan,
mais il y avait d’autres trônes. Avec une énergie renouvelée, Gengis parcourait
le palais et la ville, apprenait comment un tel lieu faisait vivre ses
habitants.
Temüge lui apporta des cartes trouvées sur l’ennemi ou
dessinées par des prisonniers. Chacune d’elles révélait
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