La chevauchée vers l'empire
confiant. Il ne
servait à rien de regretter les décisions prises, même si les Assassins avaient
eu trop de temps pour se préparer. Le chemin serait dur à parcourir et un grand
nombre de ses hommes ne reviendraient pas de la montagne.
Pendant une bonne partie de la matinée, le soleil ne fut pas
visible du village et, au moment du départ, Süböteï s’interrogea sur la vie à
demi dans l’ombre que ses habitants avaient menée. Même en plein été, leurs
maisons devaient rester froides. Seul le soleil à son zénith pouvait éclairer
et réchauffer la rue qu’ils laissaient derrière eux. Il ne doutait plus
maintenant que les villageois aient tous été les serviteurs de ceux qu’il était
venu débusquer. Rien d’autre ne pouvait expliquer qu’ils aient choisi une vie
aussi misérable.
Süböteï chevauchait au deuxième rang et ne regarda derrière
lui qu’après que l’armée se fut ébranlée, longue queue serpentant lentement
presque jusqu’au premier village dévasté. Certains guerriers ignoraient encore
ce qui s’était passé la veille, mais ils mettaient leurs pas dans les siens et
pénétraient plus profondément en terrain hostile.
Le sentier se rétrécit encore lorsqu’il laissa le village
derrière lui et ses hommes durent progresser à deux de front. Ce n’était
quasiment qu’une fissure dans la montagne où la pénombre permanente rendait l’air
froid. Le général gardait la main sur la poignée de son sabre et, les yeux
plissés, cherchait une trace de l’arban qu’il avait envoyé en reconnaissance. Il
n’en restait que des empreintes de sabots que les guerriers suivaient
prudemment, redoutant une embuscade.
Le sentiment d’enfermement devint étouffant quand la pente
se fit plus raide. Avec appréhension, Süböteï vit le sentier se rétrécir encore,
ne laissant plus passer qu’un cavalier. Ses hommes continuaient cependant à
suivre la piste. Il ne s’était jamais senti aussi impuissant de sa vie et
devait lutter contre une panique grandissante. S’il était attaqué, les premiers
morts bloqueraient ceux qui se trouvaient derrière et les transformeraient tous
en cibles faciles. Il ne pourrait probablement même pas faire tourner sa
monture dans un espace aussi exigu et il grimaçait chaque fois que ses genoux
effleuraient la roche moussue d’un côté ou de l’autre.
Il releva brusquement la tête quand un des guerriers qui le
précédaient émit un sifflement bas. Les chevaux s’arrêtèrent. Il jura en se
rendant compte qu’il ne pouvait même pas rejoindre la tête pour voir ce qu’ils
avaient découvert. La plus redoutable armée au monde était réduite à une file d’hommes
nerveux. Pas étonnant que les Assassins n’aient pas abandonné leur forteresse, pensa
Süböteï en levant les yeux vers la bande de ciel qui s’étirait au-dessus de sa
tête. Il suffirait de quelques hommes jetant des rochers pour transformer la
montagne en tombeau de ses espoirs et de ses ambitions. Il sursauta quand un
caillou tomba d’en haut, mais rien d’autre ne suivit.
L’un de ses hommes le rejoignit à pied en se faufilant sous
les jambes des chevaux qui bronchèrent nerveusement. Eux aussi se sentaient
cernés de tous côtés par la roche et Süböteï craignit que l’une des bêtes ne s’affole,
provoquant un chaos.
— Un mur barre le chemin, général, rapporta le guerrier.
Il y a une porte mais elle est en fer. Si tu fais venir des marteaux, nous
pourrons dégager les gonds mais ce sera long.
Süböteï acquiesça. L’idée de faire remonter ses ordres le
long d’une file de chevaux à l’arrêt aurait été risible sans la menace
permanente d’une attaque. Malgré lui, il leva de nouveau les yeux.
— Je te charge de t’en occuper. Fais passer les
marteaux d’un homme à l’autre et demande qu’on décharge les mantelets du
premier chariot qui en transporte.
Ces abris portatifs en bois seraient utiles. Gengis avait
insisté pour que les artisans de Samarkand en construisent des dizaines afin de
protéger ses archers, décision qui se révélerait peut-être utile, finalement.
Süböteï attendit avec impatience tandis que le guerrier
remontait péniblement la file. Les chariots contenant le matériel de siège se
trouvaient loin derrière et les guerriers tuaient le temps en bavardant. Le
général se retourna pour regarder Gengis, qui semblait toujours de bonne humeur.
Le khan aiguisait son épée sur une pierre prise dans une de ses
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