La chevauchée vers l'empire
sacoches de
selle, levait de temps à autre la lame pour en inspecter le tranchant. Il
surprit le regard de Süböteï et eut un rire dont la montagne répercuta les
échos tandis qu’il continuait à affûter son arme.
L’instinct, sans doute, fit lever les yeux au général une
troisième fois, et il vit que la bande de ciel bleu était ponctuée de taches
sombres. Il ouvrit grande la bouche, cria à ceux qui l’entouraient de se
baisser, tint ses bras protégés par son armure au-dessus de sa tête juste avant
que le premier projectile le touche.
Les pierres tombaient par vagues sur les Mongols qui
grognaient de douleur. Ceux qui avaient des boucliers les tenaient au-dessus d’eux,
mais ils étaient peu nombreux. Les chevaux, qui n’étaient protégés ni par un
casque ni par une armure, se cabraient et ruaient. Plus d’un, assommé, vacilla
avant de tomber. Süböteï serra les poings au-dessus de sa tête en se rendant
compte que certains, le crâne brisé, ne se relèveraient pas. Plusieurs
guerriers avaient un bras qui pendait, l’os fracturé malgré l’armure, et la
pluie de pierres redoublait. Au moins, elles sont petites, pensa Süböteï. Les
rochers capables de briser l’échine d’un homme restaient bloqués dans la passe
au-dessus de leurs têtes ou rebondissaient sur la paroi et se cassaient en
morceaux. Alors même qu’il se faisait ces réflexions, une grosse pierre frappa
au front un cheval qui se trouvait à quelques pas seulement de lui, le tuant
sur le coup. Süböteï se rappela le premier fort dont il s’était emparé avec
Gengis. Des ennemis postés sur des hauteurs tiraient des flèches sur eux
presque à la verticale et les deux hommes avaient été sauvés par les palissades
en bois qu’ils avaient tenues au-dessus de leurs têtes. Süböteï sentit son cœur
cogner douloureusement contre ses côtes quand il se rendit compte qu’il avait
oublié le problème des chariots bloqués derrière. Il était impossible de les
faire avancer dans la passe étroite et il vit en pensée toute l’armée
immobilisée, incapable de battre en retraite. Sous le déluge de pierres, ses
hommes poussaient des cris de douleur et de frustration mêlées.
— Où sont ces mantelets ? rugit Süböteï. Il nous
faut des mantelets !
Sa voix porta loin le long de la file. Il vit des hommes
faire des signes à ceux qui se trouvaient derrière pour transmettre son ordre. À
quelle distance étaient les chariots ? Il attendit, courbé sur sa selle, se
protégeant toujours la tête de ses bras.
Il avait l’impression d’entendre le bruit des pierres et sa
propre respiration depuis une éternité quand un cri retentit. Il risqua un coup
d’œil par-dessus son épaule. Les pierres qui continuaient à ricocher sur son
armure le firent chanceler. Même les plus petites faisaient mal. Il poussa un
soupir de soulagement en voyant que les lourds boucliers en bois passaient d’un
cavalier à l’autre, par-dessus les têtes.
La file de mantelets s’arrêta quand ceux qui se trouvaient
sous la grêle voulurent les garder au lieu de les passer devant. Süböteï cria
un ordre rageur et les mantelets reprirent leur progression. Déjà on entendait
le bruit sourd des pierres heurtant le bois. Il saisit le premier mantelet à
lui parvenir, constata que Gengis avait le sien et dut faire appel à toute sa
volonté pour ne pas en garder un lui aussi. On ne pouvait faire passer les
mantelets qu’en les tenant droits. Lorsqu’on les abaissait pour s’en protéger, ils
se coinçaient souvent entre les parois.
Exposé de nouveau, Süböteï remarqua que le khan perdait son
calme. Gengis fit la grimace en découvrant que son général n’était pas protégé,
décoinça son mantelet, le fit passer devant et se retourna pour en attendre un
autre. Des pierres tombèrent autour du khan. L’une d’elles toucha son casque, mais
un autre mantelet arriva et Süböteï poussa un soupir de soulagement lorsque le
khan fut de nouveau à l’abri.
La pluie de pierres faiblit puis cessa, laissant des hommes
meurtris ou mourants sous les lourdes planches. Sans armures, ils auraient été
anéantis. Ou les Assassins avaient constaté l’efficacité des mantelets, ou ils
étaient à court de projectiles, Süböteï ne pouvait pas le savoir. Il savait en
revanche qu’il remuerait ciel et terre pour leur faire payer la souffrance de
se sentir impuissant.
On se passa les marteaux sous la protection des mantelets,
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