La chevauchée vers l'empire
hanche, et
effleurait la poignée dorée de son épée. Malgré sa taille mince, il avait un
visage charnu et presque rien en lui ne rappelait à Djalal al-Din le garçon qu’il
avait connu des années plus tôt. Lorsque le fils du shah Mohammed approcha, le
prince indien renvoya deux conseillers et descendit de son trône pour s’incliner
devant lui.
Djalal al-Din le fit se relever bien que le geste lui eût
plu.
— Ne sommes-nous pas égaux, Nawaz ? Tu me fais
grand honneur par ton hospitalité. Mes hommes n’avaient pas aussi bien mangé
depuis des mois.
Le jeune rajah rougit de plaisir. Son regard se porta sur
les pieds nus du fils du shah assombris par les cals et la poussière. Djalal al-Din
sourit en se demandant comment lui-même aurait reçu un visiteur en haillons
quand il était l’héritier du Khwarezm.
— J’ai entendu dire sur toi des choses merveilleuses, répondit
enfin le rajah. Des hommes de ma propre garde ont proposé leurs services contre
ce khan étranger.
— Ils sont les bienvenus, mon ami, mais j’ai plus
besoin d’équipement que d’hommes. Si tu as des chariots et des chevaux à m’offrir,
je tomberai à tes genoux de gratitude. Si tu as des vivres pour mon armée, j’embrasserai
même tes pantoufles dorées.
Le ton légèrement moqueur fit rougir encore davantage le
prince Nawaz.
— Tu auras toutes ces choses. Je te demande seulement
de me laisser t’accompagner quand tu partiras pour le nord.
Djalal al-Din jaugea le jeune rajah, décela en lui une
étincelle du feu qui consumait les hommes de son armée massée devant le palais.
Ils brûlaient, ces jeunes gens, qu’ils soient riches ou pauvres, qu’ils aient
été bénis ou maudits dans leur existence. Ils voulaient être menés. C’était le
grand secret qu’il avait découvert : des mots appropriés allumaient en eux
une ferveur qu’on ne pourrait jamais éteindre. Enflammés par elle, ils se
retourneraient contre leur tribu, contre leur famille, même, pour le suivre. Il
avait vu des pères quitter pour le rejoindre des femmes et des enfants en
pleurs sans un regard en arrière. Si son père le shah avait trouvé les mots, il
aurait conduit ses armées au bout du monde.
Djalal al-Din ferma brièvement les yeux. Il était épuisé par
la longue marche à travers les montagnes, et même la vue de l’Indus, qui
faisait vivre un continent, n’avait pas dissipé sa fatigue. D’abord il avait
marché parce qu’il n’avait pas de cheval. Ensuite il avait marché pour
impressionner ses hommes. Les lieues avaient cependant miné ses forces et il
était tenté de demander à passer une nuit, une nuit seulement, dans un lit
frais avant d’envoyer ses frères chercher partout de quoi nourrir l’armée. Après
quoi il faudrait retraverser les montagnes. Il résista, sachant que cela l’aurait
diminué aux yeux de Nawaz. Le jeune rajah ne se sentait pas son égal même s’il
portait des hardes dont un mendiant n’aurait pas voulu. Sa pauvreté prouvait sa
foi et le prince se montrait humble en sa présence.
Djalal al-Din sortit brusquement de ses réflexions en s’apercevant
qu’il était longtemps resté silencieux.
— Ton père ne s’y opposera pas ? dit-il enfin. Je
crois savoir qu’il n’est pas un adepte de la grande foi.
Il vit le visage de Nawaz se tordre de dégoût.
— Il ne comprend rien, avec ses milliers d’autels et
ses temples stupides. Il m’a interdit de partir avec toi, mais il n’a aucun
pouvoir sur moi ! Ces terres m’appartiennent et je t’en donne toutes les
richesses. Mes hommes ont prêté serment à moi seul et mon père ne peut pas me
les enlever. Laisse-moi t’appeler maître et marcher à tes côtés sur la route.
Djalal al-Din eut un sourire las, mais l’enthousiasme du
jeune homme le soulagea un peu de la douleur de ses os.
— Très bien, Nawaz. Tu conduiras tes hommes dans la
guerre sainte pour repousser les infidèles. Tu te tiendras à ma droite et nous
triompherons.
TROISIÈME PARTIE
32
Gengis souriait de voir son petit-fils Mongke patauger près
de la berge. Ses éclaireurs avaient trouvé ce lac à quelques centaines de
lieues au nord-est de Samarkand et il y avait installé les yourtes et les
familles tandis que son armée administrait les cités du Khwarezm. Les caravanes
avaient recommencé à circuler, venant d’aussi loin que la Russie et les terres
jin, mais elles étaient à présent accueillies par des fonctionnaires
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