La chevauchée vers l'empire
mongols
formés par Temüge et soutenus par des guerriers. Ils prélevaient une partie des
marchandises transportées mais, en échange, les caravaniers n’avaient plus
besoin d’avoir leurs propres gardes. La parole du khan les protégeait sur des
centaines de lieues et plus, dans toutes les directions à partir de Samarkand.
Des montagnes entouraient le lac et la plaine, assez
lointaines pour que Gengis ne se sente pas enfermé. Il savait que des guerriers
postés sur les pics surveillaient les alentours, même s’il ne pouvait pas les
voir. C’était curieusement réconfortant de penser que ces montagnes seraient
encore là quand tous ceux qui vivaient maintenant ne seraient plus que
poussière.
Ögödei s’était bien adapté à sa position nouvelle d’héritier.
Gengis l’avait envoyé avec les tumans pour qu’il apprenne tout des hommes qu’il
commanderait. Cela allait de soi mais il l’avait aussi confié à Temüge, qui lui
enseignait comment fournir vivres et vêtements à une armée.
Ögödei s’imprégnait de tout ce que les hommes des tribus
pouvaient lui apprendre, y compris les langues étrangères et même l’écriture. On
ne voyait jamais l’héritier du khan sans un groupe de maîtres derrière lui, mais
il semblait s’épanouir sous leur enseignement.
Gengis étira son dos. Il se sentait en paix. Au bord de ce
lac, il n’entendait pas les bruits de la guerre et il prenait plaisir aux cris
et aux rires des garçons qui s’ébattaient dans l’eau et apprenaient à nager
comme des poissons. Certains plongeaient même sous la surface en sautant du
haut d’un rocher dans de grands éclaboussements. Leurs mères les appelaient et
scrutaient l’eau avec angoisse, mais ils remontaient, essoufflés, riant de
celles qui s’étaient inquiétées pour eux.
Gengis sentit une petite main tirer sur ses jambières et il
se pencha pour faire sauter en l’air Kublai. Le petit garçon n’avait que trois
ans mais, à peine âgé de quelques mois, il souriait déjà, chaque fois qu’il
voyait son grand-père, et Gengis s’était pris d’affection pour lui.
Le khan hissa l’enfant sur ses épaules et s’approcha du bord
de l’eau, grimaçant un peu quand Kublai s’agrippa à ses cheveux.
— Je ne te laisserai pas tomber, petit homme.
Mongke s’aperçut de cette rare faveur et tendit les bras pour
être soulevé lui aussi. Gengis secoua la tête.
— Pas maintenant. C’est le tour de Kublai.
— Encore une histoire ! réclama le bambin juché
sur ses épaules.
Gengis réfléchit. La mère de Kublai prétendait que ses
histoires étaient trop violentes pour un jeune enfant, mais le garçon y prenait
grand plaisir. Gengis vit que Sorhatani les observait d’un peu plus loin sur la
berge. À dix-neuf ans, elle était devenue une femme d’une beauté exceptionnelle
et Gengis se demandait parfois comment son petit Tolui l’avait séduite.
— Tu veux entendre l’histoire du khan des Assassins ?
— Oui, raconte !
Gengis sourit, se tourna vivement d’un côté puis de l’autre
pour que ces mouvements brusques fassent glousser son petit-fils.
— C’était un homme énorme , commença Gengis, avec
des bras assez forts pour tordre une barre de fer. Sa barbe noire était rêche
comme du crin et lui tombait presque à la taille. Il y a deux ans, je l’ai
affronté dans sa forteresse. Il a sauté sur mon dos alors que je passais sous
une arche et je n’arrivais pas à me dégager de son étreinte. Je sentais ses
mains sur ma gorge qui pressaient, pressaient, à me faire jaillir les yeux de
la tête !
Il mima le geste tandis que Mongke, sorti de l’eau, le
regardait, les yeux écarquillés.
— Comment tu l’as fait tomber ? demanda l’enfant.
Gengis baissa les yeux, réfléchit.
— Justement, je n’y arrivais pas. J’essayais, comme
maintenant avec Kublai, mais il était trop fort pour moi. Il serrait de plus en
plus fort et, tout à coup, j’ai vu mes yeux rouler par terre devant moi…
— Comment tu pouvais les voir s’ils étaient par terre ?
demanda aussitôt Kublai.
Gengis le posa sur le sol en riant.
— Tu es un garçon intelligent, lui dit-il. Tu as raison,
je ne pouvais pas les voir. En fait, je me voyais, moi , avec des trous à
la place des yeux et le chef des Assassins toujours accroché à mon dos. De mes
yeux roulant par terre, j’ai remarqué le gros rubis qui étincelait sur son
front. J’ignorais que c’était son point faible
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