La chevauchée vers l'empire
tant de fois auparavant. Djaghataï se mit à frapper avec une telle
vitesse que son bâton devint une tache floue. La foule poussait des cris à
chaque coup paré. Les muscles du bras brûlants, Djaghataï voulut reculer, le
moine glissa un pied sous le sien et il tomba par terre, les bras en croix.
L’assaut les avait entraînés hors de l’espace découvert, entre
deux yourtes. Yao Shu s’apprêtait à donner des conseils à Djaghataï quand il
sentit une présence derrière lui.
Toujours en alerte, il se retourna.
Kachium les observait, impassible. Yao Shu s’inclina
brièvement devant le général tout en se tenant prêt à une éventuelle attaque de
Djaghataï.
Kachium se pencha vers l’oreille du moine, même s’il y avait
peu de chance pour que la foule braillarde puisse l’entendre.
— Ne lui laisseras-tu rien ? murmura-t-il. Alors
que son père et des hommes que ce jeune commandera le regardent ?
Yao Shu leva vers le général mongol des yeux sans expression.
Depuis l’enfance, il avait appris à maîtriser son corps. L’idée de laisser un
fanfaron comme Djaghataï le frapper lui semblait totalement absurde. S’il s’était
agi d’un guerrier plus modeste, qui ne s’en serait pas vanté pendant des mois, il
aurait peut-être accepté. Pour le deuxième fils gâté du khan, il secoua la tête.
Kachium allait insister mais, dans la seconde qui suivit, Djaghataï,
cherchant désespérément à profiter du moindre avantage, attaqua par-derrière. Contrarié,
Kachium plissa les lèvres tandis Yao Shu esquivait en deux pas souples comme s’il
glissait sur le sol. Le moine était toujours en parfait équilibre et Kachium
sut que son neveu ne parviendrait pas à le toucher ce jour-là. Yao Shu bloqua
deux autres coups puis contre-attaqua plus durement que les fois précédentes, donnant
ainsi une réponse définitive à Kachium.
Tous les guerriers entendirent le souffle de Djaghataï quand
le bâton chassa l’air de ses poumons. Avant qu’il puisse récupérer, Yao Shu le
frappa à la main droite et, sous la douleur, le jeune Mongol lâcha son bâton. Sans
marquer de pause, le moine passa le sien entre les jambes de Djaghataï et le
fit tomber sur le sol gelé. La foule demeura silencieuse tandis que le moine s’inclinait
devant un fils de khan à plat ventre. Djaghataï se releva mais au lieu de
saluer lui aussi son adversaire, comme les spectateurs l’attendaient, il s’éloigna
d’un pas rageur, sans un regard en arrière.
Yao Shu demeura plus longtemps que nécessaire la tête inclinée
pour montrer sa propre colère après l’affront qu’il venait d’essuyer. Il avait
pour habitude de discuter des assauts avec les jeunes guerriers, de leur
expliquer en quoi ils avaient failli et ce qu’ils avaient réussi. Au cours des
cinq années passées chez les Mongols, il avait entraîné un grand nombre des
hommes que Gengis commandait et avait créé une école de vingt élèves pour les
plus prometteurs. Djaghataï n’en faisait pas partie, mais Yao Shu connaissait
assez le monde pour savoir que la permission de rester chez les Mongols avait
un prix. Cette fois, il l’avait trouvé trop élevé. Il passa devant Kachium sans
lui adresser un regard.
De nombreux spectateurs s’étaient tournés vers le khan pour
voir comment il réagirait à la grossièreté de son fils, mais Gengis leur opposa
un masque froid. Après avoir regardé le moine passer devant Kachium, il lança à
ses frères :
— Le chevreau doit être prêt, maintenant.
Temüge sourit, mais pas à la perspective d’un repas chaud. Dans
sa naïveté, le moine s’était fait des ennemis d’hommes violents qui lui
apprendraient peut-être l’humilité. La journée se terminait mieux que Temüge n’aurait
pu l’espérer.
Malgré sa petite taille, Yao Shu dut baisser la tête pour
pénétrer dans la yourte de la seconde épouse du khan. Il s’inclina devant
Chakahai, comme l’exigeait son rang de princesse du Xixia. À vrai dire, les
titres ne l’impressionnaient pas mais il admirait la façon dont cette femme s’était
fait une place parmi l’élite mongole. Sa nouvelle vie n’aurait pu être plus différente
que celle qu’elle menait autrefois à la cour xixia, mais Chakahai avait survécu
et Yao Shu l’admirait pour cela.
Ho Sa était déjà là, buvant à petites gorgées le thé noir
que le père de la princesse envoyait au camp. Yao Shu le salua, accepta une
tasse fumante des mains de
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