La chevauchée vers l'empire
sourds aux ravages qu’ils causaient.
Les rangs du shah étaient paralysés par la charge folle des
monstrueux animaux. Les archers dispersés mouraient en hurlant de peur tandis
que les Mongols déferlaient, recevant les coups sans broncher, moulinant de
leurs sabres. De bonnes lames se brisèrent sur des armures mais les bras s’élevaient
et retombaient sans répit et, quand un bouclier bloquait un coup, les guerriers
du khan en portaient aussitôt un autre, plus bas ou plus haut, entaillaient des
jambes et des gorges. Ils étaient plus rapides que ceux qui les affrontaient. Süböteï
se retrouva face à un colosse barbu qui se battait avec une ardeur effrénée. Le
Mongol sentit l’odeur de la sueur de cet homme quand il se servit de l’épaule
de son cheval pour le déséquilibrer. Remarquant que son cimeterre n’avait pas
de garde, Süböteï laissa son sabre glisser le long de la lame et coupa trois doigts,
expédiant l’arme ennemie en l’air. Les soldats du Khwarezm avaient de larges
carrures et il se demanda si on les choisissait davantage pour leur puissance
que pour leur habileté. Leurs coups s’abattaient sur ses guerriers mais ceux-ci
esquivaient en se baissant ou en se jetant sur le côté, ripostaient quand ils
le pouvaient et poursuivaient leur charge. Un grand nombre de soldats du shah
furent blessés trois ou quatre fois avant que la perte de sang les fasse tomber.
Süböteï vit des centaines de fantassins se regrouper autour
d’un cavalier montant un étalon noir. Même de loin, il remarqua que la bête
était superbe. Son cavalier criait des ordres et les hommes reformaient les
rangs. Süböteï se prépara à une contre-attaque mais, levant leurs boucliers, les
ennemis battirent en retraite vers le gros de leur armée.
Le général mongol n’eut pas à donner de nouvelles
instructions. Ses officiers de minghaan savaient faire preuve d’initiative et
quatre d’entre eux, devinant la manœuvre de repli, se ruèrent à l’attaque. Des
flèches auraient décimé les fantassins battant en retraite, mais les Mongols n’en
avaient plus et les ennemis reculèrent en bon ordre.
Au loin, les cors des éclaireurs mongols mugirent. Levant
les yeux, Süböteï vit arriver les tumans de Gengis. Le khan était enfin sur le
champ de bataille et Süböteï, envahi d’une joie terrible, essuya la sueur
coulant dans ses yeux.
Bien qu’il eût enfoncé les lignes des ennemis lancés contre
lui, le général mongol était irrité. Le repli en bon ordre l’avait empêché de
provoquer le chaos dans les rangs khwarezmiens et de couper l’avant-garde du
shah du reste de son armée. Süböteï et ses hommes tournoyaient sur ses flancs, harcelant
les dernières poches de fantassins épuisés. Süböteï se demanda qui était le
jeune officier qui avait empêché une déroute. L’homme avait maintenu la
cohésion de ses soldats au plus fort de la bataille et Süböteï ajouta cette
information à ce qu’il savait de l’ennemi. Le shah avait au moins un officier
compétent sous ses ordres, semblait-il.
Les minghaans se reformèrent dans un paysage d’hommes brisés,
de cuirasses et d’armes jonchant le sol. Une partie des guerriers mit pied à
terre pour arracher de précieuses flèches des cadavres, mais peu seulement
pouvaient être réutilisées. Süböteï sentit les battements de son cœur s’apaiser
et, parcourant des yeux le champ de bataille, chercha l’endroit où il serait le
plus utile. L’armée du shah était sortie de la passe et les tumans de Djebe et
de Djötchi continuaient à harceler ses arrières. Le soleil était bas à l’ouest,
Gengis n’aurait pas le temps d’attaquer avant le crépuscule.
Süböteï vit que les fantassins rescapés du shah avaient
regagné le flanc de l’armée et regardaient d’un œil menaçant les cavaliers
mongols tournoyant parmi les morts. La plupart des éléphants avaient disparu ;
quelques-uns étaient couchés sur le côté, là où les soldats du shah les avaient
abattus, ajoutant leurs flèches à celles des Mongols pour ne pas laisser ces
masses de chair enfoncer leurs rangs. Süböteï était exténué, il avait mal dans
tout le corps et la bataille était loin d’être terminée.
— En formation autour de moi ! s’exclama-t-il, ceux
qui l’entendirent réagissant aussitôt.
Le gros de l’armée du shah continuait à progresser et des
fantassins frais passèrent sous le regard froid de Süböteï. Il n’arrivait pas
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