La Chimère d'or des Borgia
aussitôt.
— Voilà, reprit Langlois en extirpant d’un de ses tiroirs un portefeuille dans lequel il choisit divers documents. Vous partez ce soir pour Brigue par l’Orient-Express…
— Mazette ! fit l’inspecteur avec l’ébauche d’un sourire. On donne dans le luxe maintenant, chez nous ?
— Le cas est exceptionnel !… et vous n’allez que jusqu’à Brigue qui prend de plus en plus d’importance dans notre affaire. Vous avez là des francs suisses et l’autorisation de la police fédérale vous permettant d’enquêter sur leur territoire. D’autre part, j’ai obtenu une excellente photographie de Morosini, bien meilleure évidemment que celles des journaux, et surtout ceci ! continua-t-il en tendant les portraits de Pauline.
Le policier siffla entre ses dents.
— Bigre ! La belle femme ! Elle ne doit pas facilement passer inaperçue ! À moins que le dessinateur ne la voie…
— C’est une dessinatrice et elle la déteste ! Mais elle a fait du très bon travail puisqu’elle a pris la peine de reproduire le visage d’une part et la silhouette incroyablement vivante… Ce qui est important parce qu’on a dû la remarquer dans un bled tel que Brigue, en particulier en cette saison. Quant au train, c’est le dernier qu’a pris Morosini. Donc le personnel est le même. Vous glanerez peut-être un renseignement capital en montrant la photo…
— Il paraît qu’il prend ce train presque aussi souvent qu’un Parisien le métro ! On doit le connaître comme le loup blanc. Alors la photo !…
— Il se trouve que le chef de train comme le conducteur sont des nouveaux. Cela m’ennuie un peu, mais on fait avec ce que l’on a. C’est pourquoi la photo est primordiale. Je suis persuadé que Morosini n’est jamais monté dans ce train et qu’il a été intercepté avant la gare…
— D’où l’enquête de Sauvageol. Vous auriez pu me le dire plus tôt !
— Ne râlez pas ! Il me semblait préférable que vous embarquiez avec un œil neuf, mais j’ai changé d’avis ! Allez vous préparer, mon vieux, et bon voyage !
Demeuré seul, Langlois s’adossa à son fauteuil et ferma les yeux, pris d’une soudaine lassitude. Décidément, il n’aimait pas cette affaire, en raison de la réelle amitié qu’il éprouvait pour Aldo et les siens. Le joyeux tandem Morosini-Vidal-Pellicorne lui avait fait tourner les sangs à plusieurs reprises, mais si le premier devait ne jamais reparaître, il manquerait quelque chose dans sa vie ! Et il ne comprenait pas pourquoi l’égyptologue se désintéressait aussi complètement du sort de son ami. Les quelques venimeux papiers émis par les journaux à scandale avaient bien dû parvenir jusqu’à Londres ! Était-il à ce point épris de sa cantatrice pour les avoir gobés comme des œufs frais ? Que Morosini laisse tout tomber : épouse, enfants, affaires – ô combien importantes ! – pour partir vivre dans l’anonymat et un trou perdu le parfait amour avec une autre femme que la sienne était pour lui impensable ! Voire grotesque ! Il est vrai que l’épouse en question semblait attacher crédit à cette fable, d’après ce qu’il en savait, et ça non plus il n’arrivait pas à le croire ! Il n’était pas près d’oublier l’affaire de la Perle de Napoléon où, pour sauver son mari, elle s’était jetée délibérément dans la gueule du loup. Vrai aussi qu’ensuite, elle l’avait éloigné d’elle pendant plusieurs mois parce qu’une femme séduisante était mêlée à cette histoire…
Il caressa un instant le projet de se rendre lui-même à Venise pour un entretien à cœur ouvert avec Lisa Morosini, puis y renonça parce qu’elle n’y serait peut-être pas et qu’il se voyait mal galoper à sa suite en Suisse ou en Autriche ! D’abord retrouver l’époux envolé en priant Dieu qu’il soit intact ! Ensuite, il serait temps d’en venir aux plaidoiries ! Et, en attendant, jeter un coup d’œil sur la nouvelle passion de Vidal-Pellicorne.
Se redressant, il appela son secrétaire.
— Allez voir aux archives si vous avez quelque chose concernant Lucrezia Torelli, la cantatrice célèbre. Après vous viendrez prendre une lettre…
— Si elle est urgente, je pourrais commencer par ça ?
— Non, les archives d’abord.
L’idée lui était venue, soudain, de prendre contact avec le Chief Superintendant Gordon Warren, de Scotland Yard…
Les jours qui suivirent furent difficiles à vivre tant pour le patron de la
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