La Chimère d'or des Borgia
loin ; les nouvelles de France y parviennent régulièrement et je suis persuadée que notre égyptologue en folie en sait presque autant que nous ! N’oubliez pas qu’il est en compétition avec Wishbone et que celui-ci a déjà dû repérer « l’affaire Morosini » depuis longtemps. Et comme son intérêt est d’éloigner un rival qui a logiquement pris l’avantage en logeant la dame chez lui, vous pensez bien qu’il n’a pas dû se gêner.
— Ainsi nous ne représentons plus rien pour lui ?
— Vous et moi peut-être que si, parce que nous ne vivons pas à Venise, que nous sommes ses voisines et devenues de ce fait, avec le temps, une douce habitude. En ce qui concerne Aldo, je ne sais trop que penser. Peut-être le trouve-t-il trop séduisant ?
— Allons donc ! Adalbert est fort satisfait de sa propre apparence !
M me de Sommières examina l’idée d’une quatrième tasse de café, jugea qu’elle était intéressante, se la fit servir, la but et conclut finalement :
— C’est assez juste, au fond !… À présent si vous vous sentez à ce point d’humeur voyageuse, nous pourrions abandonner le nord-ouest au bénéfice du sud-est ?
— À quoi pensons-nous ?
— À Venise où, selon Guy Buteau, les dégâts sont sérieux. Si nous ne voulons pas nous trouver en face d’un divorce…
Plan-Crépin se signa précipitamment :
— Quelle horreur ! Lisa ne fera jamais une chose pareille !
— Justement, c’est ce dont j’aimerais m’assurer ! Alors ramassez tous ces canards – on va en emporter quelques-uns ! – et dites à Lucien de vous appeler un taxi… – ou plutôt faites-lui sortir la voiture ! Les taxis sont devenus malsains, ces temps-ci ! et faites-vous conduire chez Cook ! Nous allons à notre tour embarquer sur ce fichu Simplon-Orient-Express !
L’effet fut magique : requinquée d’un seul coup, elle était déjà à la porte.
— Et nous, on ne descendra pas à Brigue ! Je dois téléphoner là-bas pour nous annoncer ?
— Pour que Lisa file à Vienne ou à Zurich par le premier train ? Je suis certaine que nous sommes les dernières qu’elle ait envie de voir !
Seulement, le voyage à Venise n’était pas pour tout de suite…
Au même moment, environné lui aussi de journaux, le commissaire principal Langlois s’accordait un moment de détente bien mérité en compagnie de sa pipe et d’une tasse de café. Pour une fois, cette sacrée presse, qui bien souvent lui donnait la migraine, avait fait du bon boulot en exécutant ponctuellement ses exigences et en donnant le pas à la tragédie sur la gaudriole.
Son regard apaisé passait de l’attendrissant vase en cristal dans lequel trois roses jaunes sans parfum s’épanouissaient aux volutes de la fumée odorante que sa bouche laissait échapper.
Il luttait même mollement contre une légère somnolence, quand le téléphone posé sur son bureau sonna… C’était trop beau pour durer, décidément ! Luttant contre l’envie infantile de ne pas répondre, il décrocha, émit deux ou trois onomatopées puis, brusquement réveillé, il se dressa sur ses pieds.
— Nom de Dieu ! émit-il sobrement, avant de se jeter sur son chapeau et son manteau et de se ruer sur sa porte en réclamant sa voiture à grands cris.
11
Coup de tonnerre !
Comme le pensait M me de Sommières, Adalbert n’ignorait rien des aventures prêtées à son ancien « associé » et la belle Pauline Belmont… En dépit du fait qu’il eût une idée assez nette du crédit que l’on pouvait accorder à certaine presse, cette espèce d’unanimité avait suscité sa colère et même son dégoût. Mais pas envers les plumitifs : contre Aldo et celle qu’il nommait à présent sa « complice ». Et cela à cause de l’admiration qu’il avait toujours portée à Lisa. Avoir une telle femme pour épouse et oser afficher une liaison avec une autre – fût-elle aussi séduisante que Pauline Belmont ! – lui paraissait impardonnable !
Lucrezia, elle, avait beaucoup ri, estimant non sans quelque cruauté qu’il était temps que l’on fasse toute la lumière sur les « agissements de l’arrogant prince Morosini » ! Il était même arrivé à Adalbert de se moquer avec elle, tant elle y mettait de grâce ! Et pour rien au monde il n’aurait voulu la contrarier en quoi que ce soit ! Ce qu’énonçait sa voix envoûtante ne pouvait être que parole d’évangile ! Ne s’était-elle pas abandonnéeà lui, sitôt installée dans la
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