La chute de l'Empire Romain
puis, amicaux, ils ajoutaient d’un ton où perçait l’ironie :
« Cher Priscus, l’histoire que tu racontes et écris n’est pas celle que nous rencontrons. Comment imagines-tu que nous puissions convaincre Genséric le Cruel et son fils Hunéric qui veulent bâtir leur royaume − en dévorant celui des Goths, et Théodose le roi wisigoth le sait − puis détruire l’Empire, s’emparer de Carthage, et transformer Rome en un champ de ruines. »
Ils venaient de saccager Carthage et Genséric agissait déjà après quelques semaines comme le souverain de toute l’Afrique.
J’ai vu tout à coup Galla Placidia s’avancer vers moi, me dévisager longuement.
« Priscus, a-t-elle dit, je t’avais lu, je t’ai écouté. Je t’attends. »
Elle désignait deux officiers pour me conduire à son palais. Puis elle quittait la salle.
« Tu es sinistre, Priscus ! m’avait lancé Valentinien III. Tu es plus sombre que mon Auguste mère. As-tu peur, toi aussi ? Tout l’Empire tremble ! Comme si un Vandale qui se proclame roi pouvait faire vaciller l’Empire romain d’Occident ! Augusta veut t’écouter ? Va. On ne fait pas attendre Galla Placidia Augusta. Mais ne lui mens pas ! Je le saurai et tu y perdras ta langue. »
J’ai traversé Ravenne, notre capitale impériale.
La ville semblait déserte comme si déjà elle s’apprêtait à mourir. Les officiers, des Goths, marchaient d’un pas rapide, la main serrée sur la poignée de leur glaive court.
Le palais de Galla Placidia était lugubre. La pénombre, comme une eau croupie, recouvrait les murs et les dalles, ternissant le marbre.
Des silhouettes m’ouvraient les portes puis s’effaçaient. Et après un long cheminement je me suis trouvé face à Galla Placidia.
Elle avait les doigts entrecroisés comme si elle priait.
Je suis resté debout devant elle jusqu’à ce que d’un mouvement du menton elle m’indique un siège fait de lattes de ce bois noir semblable à celui de la grande croix que j’avais aperçue dans l’une des salles.
« Je veux comprendre, Priscus, me dit-elle alors que je m’asseyais. Ma vie s’achève. Dieu me murmure qu’il va me convoquer devant lui. On m’assure que tu sais lire le passé, ajoute-t-elle. J’attends que tu me dises ce que tu sais. »
Elle leva la main au moment où je m’apprêtais à lui dire qu’elle m’honorait mais que je n’étais qu’un caillou au pied de ces pics immenses que sont Tacite, Plutarque, Pline, tant d’autres.
– Parlons d’abord de Carthage, des Vandales, de Genséric. Connais-tu son fils Hunéric ?
Elle baissa la tête.
– Ce chien veut se fiancer avec ma petite-fille Eudoxie. Ce chacal est marié avec la fille du roi wisigoth Théodoric. Ce loup, cette hyène, a vingt ans et Eudoxie quatre !
Elle parla longuement, me questionna, puis conclut qu’elle voulait me revoir, m’écouter, apprendre à lire sa vie, et celle de l’Empire romain d’Occident.
« Notre Empire », disait-elle encore souvent, m’interrompant, confirmant ce que j’entendais à la cour de Valentinien. Elle voulait, prétendait-on, négocier avec Genséric, afin qu’il continue d’approvisionner Rome et l’Italie en grain.
Comment ne voyait-elle pas que reconnaître le royaume de Genséric, c’était amputer l’Empire, dans un moment périlleux, puisque le roi des Huns, Attila, avançait avec son armée, décidé à affaiblir l’empire d’Occident.
Savait-elle, Galla Placidia, qu’Attila avait signé un traité de bonne entente avec l’Empire romain d’Orient, qui lui assurait un tribut annuel de vingt-deux mille livres d’or ? Il avait donc les mains libres pour envahir la Gaule, l’Italie.
L’Empire romain d’Occident était pris entre la mâchoire des Huns et celle des Vandales !
– Les Goths de Théodoric seront avec nous, avait répondu Galla Placidia.
Peut-être, comme cela se murmurait à la cour de Valentinien, le traité signé avec Genséric, la promesse de ses fiançailles avec Eudoxie n’étaient-ils qu’un piège qui lui était tendu afin de l’empêcher de s’allier avec le royaume wisigothique de Théodoric.
On suggérait à la cour qu’Aetius et Galla Placidia avaient installé le piège.
Galla Placidia me l’avait suggéré.
Pour se fiancer avec Eudoxie, Hunéric devait rompre son mariage avec la sœur de Théodoric.
C’est ce qu’il fit.
J’appris par un de nos ambassadeurs qu’Hunéric avait renvoyé son
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