La Chute Des Géants: Le Siècle
d’Anton.
Son cousin avait lui aussi des
nouvelles. « Nous sommes certains que les assassins ont été armés par la
Serbie.
— Diable ! » fit
Walter.
Robert donna libre cours à sa
colère. « C’est le chef des renseignements militaires serbes qui leur a
fourni des bombes et des fusils. Ils ont même fait des exercices de tir dans un
jardin public de Belgrade.
— Les officiers des
renseignements agissent parfois de leur propre chef.
— Souvent même. Et c’est la
nature secrète de leur travail qui leur permet d’échapper aux conséquences de
leurs actes.
— Autrement dit, cela ne
prouve pas que l’assassinat ait été monté par le gouvernement serbe. À bien y
réfléchir, pour une petite nation comme la Serbie, qui s’efforce désespérément
de préserver son indépendance, ce serait folie que de provoquer son puissant
voisin.
— Il est même possible que
les renseignements militaires serbes aient agi contre la volonté du
gouvernement », concéda Robert. Mais il ajouta d’une voix ferme : « Cela
ne fait aucune différence. L’Autriche doit prendre des mesures contre la
Serbie. »
C’était ce que redoutait Walter.
On ne pouvait plus considérer cette affaire comme un simple crime, du ressort
de la police et des tribunaux. L’escalade avait commencé, et voilà qu’un empire
devait châtier une petite nation. À l’apogée de son règne, l’empereur
François-Joseph d’Autriche avait été un grand homme, un conservateur
profondément pieux, mais un chef à poigne. Il était aujourd’hui âgé de
quatre-vingt-quatre ans, et la vieillesse n’avait fait qu’accroître son
autoritarisme et son étroitesse d’esprit. Les hommes tels que lui se croyaient
omniscients du fait de leur âge. Le père de Walter sortait du même moule.
Mon sort repose entre les mains
de deux monarques, songea Walter, le tsar et l’empereur. Le premier est
stupide, le second sénile, mais ils vont décider de la destinée de Maud, de la
mienne, et de celle de millions d’Européens. Quel argument contre la monarchie !
Il réfléchit intensément pendant
le dessert. Lorsqu’on leur servit le café, il déclara avec optimisme : « J’espère
que vous chercherez à donner une bonne leçon à la Serbie sans y mêler d’autres
pays. »
Robert réduisit promptement ses
espoirs à néant. « Détrompe-toi. Mon empereur a écrit personnellement à
votre kaiser. »
Walter sursauta. Il ignorait tout
de cette démarche. « Quand ?
— La lettre est arrivée
hier. »
Comme tous les diplomates, Walter
n’appréciait pas que les souverains s’entretiennent sans passer par l’intermédiaire
de leurs ministres. Tout pouvait arriver. « Que dit-elle ?
— Que la Serbie doit être éliminée
en tant que puissance politique.
— Non !» C’était pire
que ce qu’il craignait. Bouleversé, il demanda : « L’empereur
parle-t-il sérieusement ?
— Tout dépend de la réponse. »
Walter fronça les sourcils. L’empereur
François-Joseph réclamait le soutien de l’empereur Guillaume – tel était
le sens de cette missive. Les deux pays étant alliés, le kaiser était obligé de
répondre positivement, mais il pouvait choiSir entre l’enthousiasme et l’hésitation,
la hardiesse et la prudence.
« Quoi que mon empereur
décide de faire, j’espère bien que l’Allemagne soutiendra l’Autriche, déclara
Robert la mine grave.
— Tu ne veux quand même pas
que l’Allemagne attaque la Serbie ! » protesta Walter.
Robert prit l’air offusqué. « Nous
voulons l’assurance que l’Allemagne respectera ses obligations d’alliée. »
Walter contint son impatience. « Le
problème d’une telle tournure d’esprit, c’est qu’elle pousse à la surenchère.
Quand la Russie semble soutenir la Serbie, cela ne fait que rendre celle-ci
plus agressive. Ce qu’il faut, c’est calmer le jeu.
— Je ne suis pas sûr d’être
de ton avis, dit Robert avec raideur. L’Autriche a subi une perte terrible. L’empereur
ne peut pas se permettre de prendre l’affaire à la légère. Celui qui défie le
géant sera écrasé.
— Essayons de garder le sens
de la mesure. »
Robert éleva la voix. « L’héritier
du trône a été assassiné !» Un client assis à la table voisine leva les
yeux et fronça les sourcils, n’appréciant guère d’entendre des Allemands s’exprimer
avec colère. Robert baissa le ton, mais son visage resta fermé. « Ne me
parle
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