La Chute Des Géants: Le Siècle
pourrait le savoir ?
— Les Autrichiens, si j’ai
bien compris. Selon eux, c’est le chef des renseignements militaires serbes qui
a armé les assassins. »
Otto laissa échapper un
grognement de surprise. « Voilà qui devrait éveiller le déSir de
vengeance des Autrichiens.
— L’Autriche est toujours
gouvernée par son empereur, déclara Gottfried. Lui seul peut prendre la
décision d’entrer en guerre. »
Walter opina. « Non qu’un
Habsbourg ait jamais eu besoin d’excuses pour se montrer impitoyable et brutal.
— Existe-t-il d’autres
façons de gouverner un empire ? »
Walter ne réagit pas à cette
provocation. « Exception faite du Premier ministre hongrois, dont l’importance
est négligeable, personne ne semble vouloir conseiller la prudence. C’est donc
à nous que ce rôle incombe. » Il se leva. Il avait fait son rapport et ne
tenait pas à rester plus longtemps dans la même pièce que cet impudent personnage.
« Si vous voulez bien m’excuser, père, je vais aller prendre le thé chez
la duchesse du Sussex et me renseigner sur ce qui se dit en ville.
— Les Anglais ne rendent pas
de visites le dimanche, fit remarquer Gottfried.
— Je suis invité »,
rétorqua Walter, qui sortit avant de perdre son sang-froid.
Il descendit Mayfair pour gagner
Park Lane, où se trouvait le palais du duc du Sussex. Celui-ci ne jouait aucun
rôle dans le gouvernement britannique, mais la duchesse tenait un salon que
fréquentaient les hommes politiques. En décembre, lorsque Walter était arrivé à
Londres, Fitz l’avait présenté à la duchesse, qui lui avait ouvert toutes les
portes.
Il entra dans son salon, s’inclina
devant elle en serrant sa main potelée et dit : « Tout le monde à
Londres voudrait savoir ce qui va se passer en Serbie, alors, bien que nous
soyons dimanche, je suis venu le demander à Votre Grâce.
— Il n’y aura pas de guerre,
répondit-elle, sans paraître comprendre qu’il plaisantait. Asseyez-vous et
prenez une tasse de thé. Bien sûr, le décès de ce pauvre archiduc et de son
épouse est une tragédie, et les coupables seront évidemment châtiés, mais il
est insensé d’imaginer que des grandes nations comme l’Allemagne et l’Angleterre
puissent entrer en guerre à cause de la Serbie. »
Walter aurait aimé partager son
assurance. Il prit place près de Maud, qui eut un sourire ravi, et de Lady
Hermia, qui hocha la tête. Il y avait là une douzaine de personnes, parmi
lesquelles Winston Churchill, le premier lord de l’Amirauté. Le décor était
aussi grandiose que démodé : une profusion de meubles lourdement ouvragés,
de tapisseries aux motifs disparates et de bibelots de toutes sortes,
photographies encadrées et vases de fleurs séchées encombrant le moindre
recoin. Un valet de pied tendit une tasse de thé à Walter en lui proposant du
lait et du sucre.
Walter était enchanté d’être
auprès de Maud mais, comme toujours, cela ne suffisait pas à son bonheur et il
se demanda comment faire pour s’isoler avec elle, ne fût-ce que quelques
minutes.
« Le problème, bien entendu,
c’est la faiblesse des Turcs », déclara la duchesse.
Cette rombière pontifiante avait
raison, se dit Walter. L’Empire ottoman sombrait dans le déclin, coupé de la
modernisation par un clergé musulman conservateur. Des siècles durant, le
sultan avait maintenu l’ordre dans la péninsule des Balkans, du littoral grec
au sud aux plaines hongroises au nord, mais désormais, il s’en retirait
lentement, décennie après décennie. L’Autriche et la Russie, les grandes
puissances les plus proches, s’efforçaient de combler ce vide. Entre l’Autriche
et la mer Noire s’alignaient trois pays : la Bosnie, la Serbie et la
Bulgarie. Cinq ans auparavant, l’Autriche avait pris le contrôle du premier. À
présent, une dispute l’opposait au deuxième. Il suffisait que les Russes
consultent une carte pour constater que le tour de la Bulgarie viendrait
ensuite et qu’après avoir fait tomber leur troisième domino, les Autrichiens
auraient la mainmise sur la côte occidentale de la mer Noire, menaçant du coup
les échanges internationaux de la Russie.
Pendant ce temps, les peuples
assujettis à l’Empire autrichien commençaient à entretenir des désirs d’autonomie
– raison pour laquelle Gavrilo Princip, un nationaliste bosniaque, avait
tiré sur l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo.
« C’est une tragédie
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