La Chute Des Géants: Le Siècle
aucun cas »,
répondit son père.
3.
La proposition de Sir Edward
Grey resta lettre morte et, heure après heure, Walter et Maud regardèrent le
monde se rapprocher du cataclysme.
Le lendemain, un dimanche, Walter
devait retrouver Anton. Une fois de plus, tout le monde se demandait avec
anxiété ce qu’allaient faire les Russes. Les Serbes avaient cédé à la quasi-totalité
des exigences autrichiennes, se contentant de réclamer un peu plus de temps
pour examiner les deux clauses les plus rigoureuses, ce que les Autrichiens
avaient jugé inacceptable, et la Serbie avait entrepris de mobiliser sa petite
armée. Le conflit était inévitable, mais la Russie y participerait-elle ?
Walter se rendit à l’église
Saint-Martin-in-the-Fields, qui, contrairement à ce qu’indiquait son nom, ne se
trouvait pas dans les champs mais à Trafalgar Square, la place la plus animée
de Londres. Il s’agissait d’un bâtiment du XVIIIe siècle de style
palladien, et Walter songea que la fréquentation d’Anton lui en apprenait
autant sur l’histoire de l’architecture anglaise que sur les intentions du
gouvernement russe.
Il gravit les marches et passa
entre les grandes colonnes pour gagner la nef. Il parcourut les lieux d’un œil
inquiet : il craignait toujours qu’Anton ne lui fasse faux bond. Le moment
aurait été particulièrement mal choisi. L’intérieur de l’édifice était éclairé
par une fenêtre serlienne ouverte à l’est et il aperçut immédiatement son
informateur. Soulagé, il prit place à côté de l’espion vengeur quelques
instants avant le début de l’office.
Comme d’habitude, ils profitèrent
des cantiques pour discuter. « Le Conseil des ministres s’est réuni
vendredi », déclara Anton.
Walter le savait déjà. « Qu’a-t-il
décidé ?
— Rien. Il se contente de
faire des recommandations. C’est le tsar qui décide. »
Walter savait également cela. Il
réfréna son impatience. « Excusez-moi. Qu’a-t-il recommandé ?
— D’autoriser quatre régions
militaires russes à se préparer à mobiliser.
— Non ! » Walter n’avait
pu retenir ce cri et les fidèles les plus proches se retournèrent, interloqués.
Ainsi les premiers préparatifs de guerre étaient engagés. Faisant un effort
pour se dominer, il ajouta : « Le tsar a-t-il donné son accord ?
— Il a ratifié cette
décision hier. »
En désespoir de cause, Walter
demanda : « Quelles sont les régions concernées ?
— Moscou, Kazan, Odessa et
Kiev. »
Pendant les prières, Walter
visualisa la carte de la Russie : Moscou et Kazan se trouvaient au centre
de ce vaste pays, à plus de quinze cents kilomètres de ses frontières
européennes, mais Odessa et Kiev étaient au sud-ouest, à proximité des Balkans.
Il profita d’un nouveau cantique pour déclarer : « Ils se mobilisent
contre l’Autriche.
— Ce n’est pas une
mobilisation, c’est une préparation à la mobilisation.
— J’ai bien compris, dit
Walter avec patience. Mais, jusqu’ici, nous envisagions une guerre entre l’Autriche
et la Serbie, c’est-à-dire un petit conflit limité aux Balkans. Aujourd’hui,
nous parlons de l’Autriche et la Russie, et d’une grande guerre européenne. »
Le cantique s’acheva et Walter
attendit le suivant en rongeant son frein. Élevé par une mère protestante
profondément dévote, il avait toujours mauvaise conscience d’utiliser un office
religieux comme couverture de ses activités clandestines. Il adressa une brève
prière au ciel pour demander pardon.
Lorsque les fidèles se remirent à
chanter, Walter reprit : « Pourquoi sont-ils si pressés de faire ces
préparatifs de guerre ? »
Anton haussa les épaules. « Les
généraux disent au tsar : « Chaque jour de délai donne à l’ennemi un
avantage supplémentaire. » C’est toujours la même rengaine.
— Ils ne voient donc pas que
ces préparatifs ne peuvent qu’augmenter les risques de conflit ?
— Les militaires veulent
gagner des guerres, pas les éviter. »
Le cantique s’acheva. L’office
était presque terminé. Comme Anton se levait, Walter l’agrippa par le bras. « Il
faut que je vous voie plus souvent. »
Anton lui jeta un regard affolé. « Nous
en avons déjà discuté…
— Ça m’est égal. L’Europe
est au bord de la guerre. Selon vous, les Russes se préparent à
mobiliser dans certaines régions. Et s’ils en autorisaient d’autres à en
faire
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