La Chute Des Géants: Le Siècle
frères Ponti se remirent à la bière et Joey déclara : « Eh
bien, ça va, ça vient, pas vrai ? »
Quelques minutes plus tard, Lev
ressortit et Rhys le suivit. Il n’y avait pas de toilettes aux Deux Couronnes
et ils faisaient leurs affaires dans une ruelle derrière la grange. La seule
lumière était celle d’un réverbère lointain. Rhys s’empressa de remettre à Lev
la moitié de ses gains, une partie en monnaie et l’autre en nouveaux billets de
banque – verts pour une livre, bruns pour dix shillings.
Lev connaissait le montant exact
de sa part. Il avait un don inné pour l’arithmétique, autant que pour le jeu.
Il recompterait son argent plus tard, mais il savait que Rhys ne chercherait
pas à l’escroquer. Il avait essayé – une seule fois. Lev avait constaté qu’il
lui manquait cinq shillings, une différence qui n’aurait pas attiré l’attention
d’un homme moins vigilant que lui. Il s’était rendu chez Rhys, lui avait
enfoncé le canon de son revolver dans la bouche et avait relevé le percuteur.
Rhys avait eu tellement peur qu’il avait fait sous lui. Depuis, ses calculs
étaient toujours exacts, au demi-penny près.
Lev fourra l’argent dans la poche
de son manteau et retourna au bar.
Comme ils entraient, il aperçut
Spiria.
Il avait ôté sa soutane pour
enfiler le pardessus qu’il portait à bord du cargo. Accoudé au comptoir, il ne
buvait pas mais parlait avec animation à un petit groupe de Russes, parmi
lesquels figuraient des habitués du tripot.
Son regard croisa celui de Lev.
Ce dernier tourna les talons et
sortit, mais il savait que c’était trop tard.
Il s’éloigna d’un pas vif en
direction de Wellington Row, plus haut sur la colline. Spiria allait le trahir,
il en était sûr. En ce moment même, il était sans doute déjà en train d’expliquer
comment Lev réussissait à tricher tout en donnant l’impression de perdre. Les
hommes seraient furieux et les frères Ponti voudraient récupérer leur argent.
Comme il approchait de sa maison,
il vit arriver un homme chargé d’une valise et reconnut à la lueur d’un
réverbère un jeune voisin surnommé Billy Jésus-y-était. «Salut, Billy,
lança-t-il.
— Salut, Grigori. »
Le garçon semblait s’apprêter à
quitter la ville et Lev était curieux. « Où tu vas comme ça ?
— À Londres. »
Cela éveilla son intérêt. « Par
quel train ?
— Celui de six heures pour
Cardiff. » Les passagers à destination de Londres étaient obligés de
changer à Cardiff.
« Quelle heure il est ?
— Moins vingt.
— Eh bien, salut. » En
se dirigeant vers la maison sa décision était prise : il allait prendre le
même train que Billy.
Il alluma la lumière électrique
de la cuisine et souleva la dalle. Il récupéra son magot, le passeport portant
le nom et la photographie de son frère, une boîte de cartouches et son arme, un
Nagant 1895 qu’il avait gagné au jeu à un capitaine de l’armée. Il en fit
tourner le barillet pour vérifier qu’il était bien chargé : l’éjection des
douilles n’était pas automatique et il fallait les retirer au moment de recharger.
Puis il répartit l’argent, le passeport et le revolver dans les poches de son
manteau.
À l’étage, il trouva la valise en
carton de Grigori, ornée de son impact de balle. Il y fourra ses munitions, sa
chemise et ses sous-vêtements de rechange ainsi que deux paquets de cartes.
Il n’avait pas de montre mais
jugea que cinq minutes avaient dû s’écouler depuis qu’il avait croisé Billy.
Cela lui laissait un quart d’heure pour se rendre à la gare, un délai amplement
suffisant.
Des voix d’hommes lui parvinrent
de la rue.
Il ne voulait pas d’affrontement.
C’était un dur, cependant les mineurs l’étaient tout autant que lui. Et même s’il
l’emportait, il manquerait son train. Il pouvait leur tirer dessus mais, dans
ce pays, la police se faisait un point d’honneur d’arrêter les meurtriers, même
quand leurs victimes étaient des rien-du-tout. Au minimum, il y aurait un
contrôle des passagers dans les ports et il aurait du mal à s’acheter un
billet. De tout point de vue, mieux valait quitter la ville sans violence.
Il sortit par-derrière et
descendit hâtivement l’allée, veillant à ne pas faire trop de bruit avec ses
lourdes bottes. Heureusement, le sol était boueux comme toujours au pays de
Galles et ses pas étaient presque silencieux.
Au bout de l’allée, il
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