La Chute Des Géants: Le Siècle
par surprise :
il fit un pas vers lui et lui décocha un coup de poing dans la mâchoire. Joey
pila sur place. Johnny heurta son frère et tous deux tombèrent à genoux.
Lev arracha son billet au
contrôleur et s’élança vers le quai. Le train roulait déjà à vive allure. Il
longea un moment les voitures sans cesser de courir. Soudain, une portière s’ouvrit
et Lev aperçut le visage amical de Billy Jésus-y-était.
« Saute ! » hurla
ce dernier.
Lev prit son élan, posa un pied
sur le marchepied. Billy l’agrippa par le bras. Ils restèrent suspendus
quelques instants tandis que Lev s’efforçait de se hisser à bord. Puis Billy
tira un coup sec et le fit monter à l’intérieur.
Lev s’effondra sur un siège,
soulagé.
Billy referma la portière et s’assit
face à lui. « Merci, lui dit Lev.
— Il était moins une.
— Mais j’y suis arrivé, nota
Lev en souriant. C’est tout ce qui compte. »
3.
Le lendemain matin, à la gare de
Paddington, Billy demanda le chemin d’Aldgate. Ethel avait cité ce nom dans sa
lettre. Un aimable Londonien le noya sous un flot d’instructions détaillées
dont il ne comprit pas un traître mot. Il le remercia.
Il n’était jamais venu à Londres,
mais savait que Paddington était à l’ouest et que les pauvres vivaient à l’est.
Il se mit donc en marche en direction du soleil matinal. La ville était encore
plus grande qu’il ne l’avait imaginé, bien plus animée et plus déconcertante
que Cardiff, et il était ravi de découvrir tout cela : le bruit, la
circulation, la foule et surtout les magasins. Il n’aurait pas cru qu’il puisse
en exister autant dans le monde entier. Combien d’argent dépensait-on chaque
jour dans les magasins de Londres ? se demanda-t-il. Des milliers de
livres, sans doute – peut-être des millions.
Il éprouvait un sentiment de
liberté qui lui montait à la tête. Ici, personne ne le connaissait. À Aberowen,
et même lors de ses quelques séjours à Cardiff, il était toujours susceptible de
croiser un ami ou un parent. À Londres, s’il s’était promené en tenant une
jolie fille par la main, jamais ses parents ne l’auraient su. Cette seule
possibilité – ajoutée à la présence d’une foule de jolies filles
élégamment vêtues – était grisante.
Au bout d’un moment, il vit un
autobus portant l’inscription Aldgate au-dessus du pare-brise, il y monta.
Il avait été très inquiet en
décodant la lettre de sa sœur. Évidemment, il ne pouvait pas en parler à ses
parents. Il avait attendu qu’ils partent à l’office du soir au temple Bethesda
– lui-même avait cessé de s’y rendre – pour écrire à sa mère.
Chère mam,
Je me fais du souci pour notre
Eth et je suis allé la voir. Pardon de filer en douce comme ça mais je ne veux
pas de dispute.
Ton fils qui t’aime,
Billy
Comme on était dimanche, il était
déjà lavé, rasé et vêtu de ses plus beaux habits. Le costume lui venait de son
père et était un peu miteux, mais il portait une chemise blanche impeccable et
une cravate noire. Il s’était endormi dans la salle d’attente de Cardiff et
avait pris le premier train pour Londres le lundi matin.
Le conducteur de bus l’avertit
quand ils arrivèrent à Aldgate et il descendit. C’était un quartier pauvre,
avec des taudis délabrés, des marchands ambulants qui vendaient des fripes et
des enfants aux pieds nus qui jouaient dans des cages d’escalier malodorantes.
Il ignorait où vivait Ethel – elle ne lui avait pas laissé son adresse
dans sa lettre. Son seul indice était cette phrase : Je travaille douze
heures par jour pour une misère à l’atelier de Mannie Litov.
Il était impatient de lui donner
toutes les nouvelles d’Aberowen. Sans doute avait-elle appris par les journaux
que la grève des veuves s’était soldée par un échec. Billy bouillait encore
intérieurement quand il y repensait. Les patrons se croyaient tout permis car
ils avaient toutes les cartes en main. Ils étaient propriétaires de la mine et
des maisons, et faisaient comme s’ils étaient aussi propriétaires des gens.
Compte tenu des règles complexes régissant le droit de vote, la majorité des
mineurs étaient exclus du corps électoral. Le député d’Aberowen était donc un
conservateur qui prenait systématiquement le parti des houillères. D’après le
père de Tommy Griffiths, les choses ne changeraient qu’après une révolution
comme celle
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