La Chute Des Géants: Le Siècle
étrangères, mais
cela donnerait une tournure officielle à l’affaire et, tôt ou tard, ça finirait
par se savoir. Il a donc demandé à son conseiller le plus modeste, c’est-à-dire
moi, de se rendre à Berlin et de faire jouer les quelques contacts que j’ai pu
nouer en 1914. »
Walter hocha la tête. Ce genre de
méthode n’était pas rare dans la sphère diplomatique. « Si nous rejetons
votre offre, personne n’en saura rien.
— Et quand bien même
l’affaire s’ébruiterait, on pourrait toujours prétendre que des jeunes gens de
rang subalterne ont pris sur eux d’agir à titre personnel. »
C’était cohérent. Une légère
excitation s’empara de Walter. « Que veut exactement Mr
Wilson ? » demanda-t-il.
Gus prit une profonde
inspiration. « Si le kaiser adressait aux Alliés une note leur proposant
la tenue d’une conférence de paix, le président Wilson appuierait publiquement
son initiative. »
Walter réprima son exaltation.
Cet entretien privé, totalement inattendu, pouvait avoir des conséquences qui
ébranleraient le monde. Était-il possible que le cauchemar des tranchées touche
à sa fin ? Qu’il revoie Maud dans quelques mois, et non dans plusieurs
années ? Il devait garder son calme. Les ballons d’essai lancés au cours
de conversations privées comme celle-ci ne débouchaient généralement sur rien.
Mais son enthousiasme l’emporta. « C’est fou, Gus. Vous êtes sûr que c’est
bien l’intention de Mr Wilson ?
— Absolument. C’est la
première chose qu’il m’a dite après avoir remporté les élections.
— Quels sont ses
motifs ?
— Il ne veut pas conduire
l’Amérique à la guerre. Or nous risquons d’y être entraînés tout de même. Il
veut la paix. Il veut aussi créer un nouveau système international susceptible
à l’avenir d’éviter des guerres comme celle-ci.
— Je souscris entièrement à
ce projet, dit Walter. Que voulez-vous que je fasse ?
— Que vous parliez à votre
père.
— Cette proposition risque
de ne pas être à son goût.
— Usez de toute votre force
de persuasion.
— Je ferai de mon mieux.
Puis-je vous joindre à l’ambassade américaine ?
— Non. Je suis ici à titre
privé. Je suis descendu à l’hôtel Adlon.
— J’aurais dû m’en douter,
Gus. » Walter sourit. L’Adlon était le meilleur hôtel de la ville. Il
passait autrefois pour le palace le plus luxueux du monde. Et ce fut presque
avec nostalgie, en songeant aux dernières années de paix, qu’il ajouta : « Redeviendrons-nous
un jour deux jeunes hommes n’ayant d’autre souci en tête que d’attirer
l’attention du serveur pour commander une nouvelle bouteille de
Champagne ? »
Gus répondit d’un ton grave. « Non,
je ne crois pas que ces jours-là reviendront. Pas de notre vivant, en tout
cas. »
Greta, la sœur de Walter,
s’approcha. Ses boucles blondes remuaient gracieusement quand elle rejetait la
tête en arrière. « Vous avez l’air bien sinistre, messieurs, lança-t-elle
gaiement. Venez, monsieur Dewar, invitez-moi pour cette danse ! »
Le visage de Gus s’éclaira. « Avec
plaiSir ! »
Elle l’entraîna.
Walter rejoignit ses invités.
Tout en devisant avec ses amis et relations, il ne pouvait s’empêcher de
retourner la proposition de Gus dans sa tête et de réfléchir au moyen de lui
apporter le meilleur soutien. Quand il aborderait le sujet avec son père, il ne
devrait pas manifester trop d’enthousiasme. Père pouvait avoir un tel esprit de
contradiction ! Il se contenterait du rôle de messager neutre.
Lorsque les invités furent
partis, sa mère le prit à part au salon. La pièce était décorée dans le style
rococo très prisé des Allemands de la génération précédente : miroirs au
cadre chantourné, tables à pieds grêles incurvés, lustre imposant.
« Quelle gentille fille que cette Monika von der Helbard ! dit-elle.
— Charmante, en
effet », admit Walter.
Sa mère ne portait pas de bijoux.
Présidente du comité de collecte de l’or, elle avait tout vendu, sauf son
alliance. « Il faudra la réinviter, mais avec ses parents cette fois. Son
père est le margrave von der Helbard.
— Oui, je sais.
— C’est une excellente
famille del ’ Uradel, l’ancienne noblesse. »
Walter fit quelques pas en
direction de la porte. « À quelle heure attendez-vous père, ce soir ?
— Bientôt. Walter. Mais
assieds-toi, bavardons un peu. »
Walter
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