La Chute Des Géants: Le Siècle
pendant quelques
années, mais tu risques de devoir prendre un boulot.
— Je ne peux pas travailler !
objecta-t-elle. Je n’ai aucune formation. Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?
— Allons, tu peux te faire
embaucher comme vendeuse dans un grand magasin, tu peux bosser à l’usine… »
Il n’était pas sérieux, elle le
savait. « Ne sois pas ridicule, lança-t-elle.
— Dans ce cas, je ne vois qu’une
solution. » Il tendit la main vers elle.
Elle s’écarta. « Pourquoi
est-ce que tu te soucies de moi ?
— Tu es ma femme. »
Elle lui jeta un regard étrange.
Il afficha l’air le plus sincère
qu’il pouvait. « Je sais que je me suis mal conduit avec toi, mais on s’aimait
avant. »
Elle émit un petit bruit de gorge
méprisant.
« Et nous avons une fille
dont nous devons nous occuper.
— Mais toi, tu seras en
tôle.
— Pas si tu dis la vérité.
— Comment ça ?
— Olga, tu as vu ce qui s’est
passé. C’est ton père qui m’a agressé. Regarde-moi – j’ai un œil au beurre
noir pour le prouver. J’ai été obligé de riposter. Il avait certainement un
problème cardiaque. Cela faisait peut-être un certain temps qu’il était
malade – cela expliquerait qu’il n’ait pris aucune disposition pour faire
face à la prohibition. Quoi qu’il en soit, c’est l’effort qu’il a fait pour me
rosser qui l’a tué, pas les quelques coups que je lui ai donnés pour me
défendre. Il suffit que tu dises la vérité aux flics, c’est tout.
— Je leur ai déjà dit que c’était
toi qui l’avais tué. »
Lev retrouva toute sa combativité :
il progressait. « Ça ne fait rien, la rassura-t-il. Tu as fait une
déposition sous le coup de l’émotion, alors que tu étais accablée de chagrin.
Maintenant que tu as repris ton sang-froid, tu te rends compte que la mort de
ton père a été un tragique accident, provoqué par son état de santé précaire et
par son accès de colère.
— Ils me croiront ?
— Un jury te croira, c’est
sûr. Mais avec un bon avocat, on pourra éviter le procès. Pourquoi engager une
procédure si l’unique témoin jure que ce n’était pas un meurtre ?
— Je ne sais pas. »
Elle changea de sujet. « Et où vas-tu trouver l’alcool ?
— Pas de problème. Ne t’en
fais pas pour ça. »
Elle pivota sur sa chaise pour
lui faire face. « Je ne te crois pas. Tu racontes ça pour que je retire ce
que j’ai raconté aux flics, c’est tout.
— Enfile ton manteau. J’ai
quelque chose à te montrer. »
Tout se jouait en cet instant. Si
elle le suivait, c’était gagné.
Elle hésita un moment. Puis se
leva.
Lev dissimula un sourire de
triomphe.
Ils quittèrent la pièce. Dehors,
dans la rue, il ouvrit les portières arrière du camion.
Elle resta longuement silencieuse
avant de demander : « Canadian Club ?» Son ton avait changé,
nota-t-il. Le pragmatisme l’avait emporté sur l’émotion.
« Cent caisses. Trois
dollars la bouteille. Je peux en tirer dix ici – plus même, si on le vend
au verre.
— Il faut que je
réfléchisse. »
C’était bon signe. Elle était
prête à céder, mais ne voulait pas se précipiter. « Je comprends. Le problème,
c’est que le temps presse. Je suis recherché par la police et j’ai un camion
plein de whisky de contrebande. Il faut que tu te décides tout de suite. Je
suis désolé de te bousculer comme ça, tu vois bien que je n’ai pas le choix. »
Elle hocha la tête, pensive, sans
rien dire.
Lev poursuivit : « Si
tu refuses, je vends mon whisky, j’empoche l’argent et je disparais. Il faudra
que tu te débrouilles toute seule. Je te souhaiterai bonne chance et je te
dirai adieu pour toujours. Je ne t’en voudrai pas. Je comprendrai.
— Et si j’accepte ?
— On va trouver les flics
tout de suite. »
Il y eut un long silence.
Enfin, elle acquiesça. « D’accord. »
Lev se détourna pour cacher son visage.
Tu y es arrivé, se dit-il. Tu étais assis avec elle à côté du cadavre de son
père et tu es arrivé à la récupérer.
Vieille fripouille.
4.
« Il faut que je mette un
chapeau, dit Olga. Et toi une chemise propre. Il vaut mieux faire bonne
impression. »
Parfait. Elle était vraiment de
son côté.
Ils rentrèrent à l’intérieur de
la maison et se préparèrent. En l’attendant, il appela le Buffalo Advertiser et demanda à parler à Peter Hoyle, le rédacteur en chef. Une secrétaire
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